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Page:Aimard - Le forestier.djvu/67

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Le Forestier


— Suivez-moi ! reprit-il laconiquement.

— C’est bien, répondit le boucanier ; marchons.

Ils se mirent en route, et s’enfoncèrent sur les pas de l’Indien dans les taillis touffus qui bordaient la rivière.

Leur course cependant ne fut pas longue ; après avoir marché une demi-heure à peine à travers les halliers, où l’Indien se dirigeait avec autant d’aisance et de sûreté que s’il se fut trouvé sur une grande route d’un pays civilisé, ils firent halte devant une cabane enfouie dans un massif, en apparence impénétrable, et si bien cachée aux regards sous un fouillis de feuilles et de branches, qu’a cinq pas il était impossible de l’apercevoir.

L’Indien siffla doucement.

Après cinq ou six minutes d’attente un sifflet semblable se fit entendre.

C’était évidemment une réponse au signal donné par le guide.

Celui-ci, du moins, le comprit ainsi.

Sans hésiter davantage. Il enleva une claie, faite d’un cuir de daim tendu sur quatre roseaux et servant de porte à la hutte ; puis il s’effaça, et se penchant vers ses deux compagnons, immobiles derrière lui :

— Entrez dans mon humble demeure, caballeros, dit-il de sa voix douce, sonore et cadencée ; vous êtes en sûreté ici pour tout le temps qu’il vous plaira d’y rester.

Les deux hommes passèrent devant le chef et pénétrèrent dans la hutte.

L’Indien replaça la claie devant l’ouverture et siffla de nouveau.

— Que faites-vous ? demanda le boucanier.

— Je donne l’ordre qu’on veille sur nous, répondit-il paisiblement.

— Habillons-nous, dit Michel, on ne sait pas ce qui peut arriver ; il est important d’être sur ses gardes.

— Bien parlé, matelot, fit en riant le boucanier. Vive Dieu ! quelle prudence !

— Frère, répondit avec intention Michel le Basque, dans une expédition comme la nôtre, où le moins qu’on risque est la tête, souvenez-vous bien de ceci : ce qui surtout ne doit pas être négligé c’est…

— Quoi ? interrompit son compagnon en riant.

— Les détails, frère, les détails : tous deux nous parlons le castillan comme des natifs de la Castille, cela est vrai ; mais n’oublions pas qu’il y a des Espagnols parmi les Frères de la Côte, bien qu’ils soient en petit nombre. A trompeur, trompeur et demi ; les gavachos sentent les boucaniers de dix lieues à la ronde ; ils ont un flair infaillible qui les leur fait reconnaître ; jouons d’autant plus serré que nous sommes seuls, abandonnés sans secours possible, en