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Page:Aimard - Le forestier.djvu/74

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Le Forestier, par Gustave Aimard


— Certes, fit l’incorrigible Michel, mais ceci est un peu l’histoire du civet pour lequel il faut un lièvre.

— C’est-à-dire, ajouta Fernan, que pour voyager à cheval il faut d’abord des chevaux.

L’Indien sourit.

— Deux chevaux sellés et portant vos valises vous attendent, attachés là dans ce bouquet de sabliers, dit-il.

— Bah !

— Ne vous l’avais-je pas promis ?

— C’est vrai ! Pardonnez-moi, chef, je l’avais oublié. Je reconnais maintenant que vous êtes homme de parole ; mais pourquoi deux chevaux et non pas trois ?

— Parce que, répondit l’Indien avec un sourire railleur d’une expression terrible, moi je ne suis qu’un pauvre Indien manso, un peon ; mon devoir est de courir devant Vos Seigneuries pour vous frayer la route : que penserait-on de vous si votre esclave était à cheval !

— Ah ! ah ! c’est comme ça ? fit Michel en ricanant : ces bons gavachos, toujours humains !

— Quand partons-nous ? demanda don Fernan.

— Quand il vous plaira, caballeros.

— Rien ne nous retient plus ici ?

— Rien, señor.

— Partons tout de suite, alors.

— Soit !

Ils se levèrent.

En ce moment une voix douce, mélodieuse, à l’accent presque enfantin, se fit entendre dans un fourré de naranjos.

Tatita ! — petit père — dit cette voix.

Et une jeune fille bondit comme une biche effarouchée et s’élança vers l’Indien, qui l’enleva dans ses bras puissants et la serra avec passion sur sa large poitrine, en s’écriant avec un bonheur inexprimable :

— Aurora ! mon enfant adorée ! oh ! je tremblais d’être contraint de m’éloigner sans t’embrasser !

À la vue de la jeune fille, les aventuriers s’étaient arrêtés saisis d’admiration, et ils l’avaient respectueusement saluée.

(Liv. 12)