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Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/180

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— Ah ! ah ! fit le comte en se frottant les mains, ce fut bien fait, il me semble.

— Non, Excellence, et en voici la raison : chassés mais non anéantis, ces ladrones s’éparpillèrent sur les autres îles ; quelques-uns revinrent à Saint-Christophe, il est vrai, mais la plus grande partie d’entre eux eut l’audace d’aller chercher un refuge à Hispaniola même.

— Oui, mais on les en a chassés, j’espère.

— On a essayé, du moins, Excellence, mais sans y réussir ; depuis cette époque ils sont parvenus à se maintenir dans la partie de l’île qu’ils ont envahie, résistant à toutes les forces envoyées contre eux ; souvent, d’assiégés se faisant assiégeants, ils poussent des pointes jusque sur la frontière espagnole, brûlant, pillant et saccageant tout ce qu’ils rencontrent sur leur passage, d’autant plus facilement qu’ils inspirent une terreur extrême à nos soldats, lesquels, aussitôt qu’ils les voient ou seulement les entendent, prennent la fuite sans regarder derrière eux. Cela est arrivé à un tel point, Excellence, que le comte de Bejar, notre gouverneur, a été contraint d’enlever les fusils des détachements, nommés cinquantaines, chargés de protéger nos frontières, et de les armer de lances.

— Comment, leur enlever leurs fusils ! et pour quel motif, bon Dieu ? Ceci me semble par trop incroyable.

— C’est cependant bien facile à comprendre, Excellence ; les soldats ont une terreur si grande des ladrones, que lorsqu’ils se trouvaient dans les parages hantés par eux et que par conséquent ils craignaient de les rencontrer, ils déchargeaient exprès leurs fusils pour les avertir de leur présence et les inviter ainsi à s’éloigner, ce que les ladrones ne manquaient pas de faire, et, connaissant par ce moyen la position des soldats, ils allaient piller d’un autre côté, certains de n’être pas dérangés[1].

— Cela est réellement incroyable. Et vous craignez leur visite ici ?

— Ils ne sont pas encore venus de ce côté, cependant il est bon de se tenir sur ses gardes.

— Je le crois bien, ceci est excessivement prudent, je vous approuve ; mais revenons maintenant au récit que vous me faisiez lorsque je vous ai interrompu pour me donner ces précieux renseignements ; vous disiez donc qu’un bâtiment de guerre espagnol était arrivé à Santo-Domingo amenant à bord plusieurs ladrones prisonniers.

— Oui, Excellence ; or il est bon que vous sachiez que les ladrones, aussitôt pris, sont pendus.

— Cette mesure est fort sage.

— On avait réservé ceux-ci pour en faire un exemple dans l’île même et effrayer leurs complices ; ils furent donc débarqués et mis en capilla en attendant l’exécution. Ce fut frère Arsenio qu’on chargea de réconcilier, si faire se pouvait, ces misérables avec le Ciel.

— Rude tâche ! mais qu’est-ce que c’est que fray Arsenio ?

  1. Tout ceci est rigoureusement historique.