Aller au contenu

Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/185

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

XXII

À TRAVERS CHEMINS

Le lendemain, doña Clara paraissait, sinon complètement remise de l’émotion que la veille elle avait éprouvée, du moins dans un état de santé beaucoup plus satisfaisant que son frère n’aurait osé l’espérer après l’évanouissement dont il avait été le témoin.

Cependant nulle allusion ne fut faite, ni par l’un ni par l’autre, à la conversation du soir précédent. Doña Clara, bien que fort pâle et surtout très faible, affectait de la gaieté et même de l’enjouement ; elle poussa même les choses jusqu’à faire, appuyée sur le bras de son frère, une courte promenade dans le jardin.

Mais celui-ci ne fut pas dupe de ce manège ; il comprit que sa sœur, fâchée de s’être laissée aller à lui parler trop franchement, essayait de lui donner le change sur son état, en affectant une gaieté loin de son cœur ; cependant il ne fit rien paraître, et lorsque la plus grande chaleur du jour fut tombée, il prétexta le désir de visiter la campagne environnante, afin de donner à sa sœur un peu de liberté ; prenant son fusil, il monta à cheval et sortit accompagné du mayordomo, qui lui avait proposé de lui servir de guide pendant son excursion.

Doña Clara ne fit que peu d’efforts pour le retenir ; au fond, elle était charmée de demeurer seule quelques heures.

Le jeune homme s’éloigna rapidement, galopant à travers terre avec une impatience fébrile. Il était dans un état de surexcitation dont il ne se rendait pas compte lui-même ; malgré son égoïsme, il se sentait intéressé au malheur de sa sœur ; tant de douce résignation l’attendrissait malgré lui, il aurait été heureux de jeter un peu de joie dans ce cœur brisé par la douleur. D’un autre côté, le singulier récit du mayordomo lui revenait sans cesse à la pensée et éveillait au plus haut point sa curiosité. Cependant, pour rien au monde il n’eût voulu interroger sa sœur sur les parties obscures de ce récit ou seulement lui laisser deviner qu’il connût ses rapports avec les flibustiers de Saint-Christophe.

Les deux hommes s’étaient lancés dans la savane, chassant et causant de choses indifférentes ; seulement, comme malgré lui le comte ne parvenait pas à éloigner de son esprit le souvenir de ce que lui avait raconté le mayordomo, à un certain moment il se tourna vivement vers lui.

— À propos, lui demanda-t-il brusquement, je n’ai pas encore entrevu le confesseur de ma sœur ; comment le nommez-vous déjà ?

— Fray Arsenio, Excellence, c’est un moine franciscain.

— C’est cela, fray Arsenio ; ah çà ! pourquoi donc s’obstine-t-il à demeurer ainsi invisible ?