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Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/232

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demeuré sur la place ; celui-là se fractionna à son tour, mais au lieu de sortir aussi de la ville, les pelotons, composés de dix hommes chaque, quittèrent la place par quatre points opposés, et s’enfoncèrent dans l’intérieur des rues.

Ceux-ci procédaient à des visites domiciliaires : aucune maison n’échappa à leur vigilance ; ils entrèrent dans toutes, les visitant avec la plus scrupuleuse exactitude, sondant les murs et les planchers, ouvrant jusqu’aux armoires et aux placards.

Des recherches aussi minutieuses devaient être longues, elles le furent en effet et ne cessèrent qu’au lever du soleil.

Huit espions espagnols avaient été découverts dans les maisons, trois arrêtés par les sentinelles au moment où ils essayaient de s’enfuir, en tout onze.

Le gouverneur les fit provisoirement mettre aux fers à bord du lougre afin qu’ils ne pussent s’évader.

Au lever du soleil, boucaniers, habitants, engagés et flibustiers, tous armés de pelles, de pioches, de haches, etc., se mirent en devoir de creuser un fossé autour de la ville.

Ce travail, accompli avec une ardeur extraordinaire, dura trois jours ; le fossé avait douze pieds de large sur quinze de profondeur, la terre avait été relevée en talus du côté de la ville ; sur ce talus on planta des pieux reliés entre eux par de forts crampons de fer, en ayant soin de laisser de distance en distance des embrasures pour placer des canons et des meurtrières.

Pendant que toute la population travaillait ainsi avec cette ardeur fébrile qui fait accomplir des prodiges, de grandes éclaircies avaient été pratiquées dans les bois entourant le port, puis on avait mis le leu à la forêt, en prenant bien soin que l’incendie ne s’étendit pas à plus d’une demi-lieue dans toutes les directions.

Ces travaux gigantesques qui, en temps ordinaire, demanderaient un laps de temps considérable, furent terminés au bout de dix jours, ce qui semblerait incroyable si le fait n’était pas consigné dans plusieurs ouvrages dignes de foi.

Le Port-Margot se trouvait donc, grâce à l’énergie de son gouverneur et à l’obéissance passive avec laquelle les flibustiers avaient exécuté ses ordres, mis non seulement à l’abri d’un coup de main, mais encore en état de résister à un siège en règle, et cela assez secrètement pour que rien de ce qui s’était fait n’eût transpiré au dehors et que, à cause des précautions prises tout d’abord, les Espagnols ne soupçonnassent point ce changement si menaçant pour eux et qui leur présageait une guerre à outrance.

Lorsque les fortifications furent terminées, le gouverneur fit dresser onze potences à une certaine distance les unes des autres sur les glacis, les malheureux espions espagnols y furent pendus et leurs corps demeurèrent attachés aux potences par des chaînes de fer, afin, dit Belle-Tête avec un sourire sinistre, que la vue des cadavres des suppliciés effrayât ceux de leurs compatriotes qui seraient tentés de suivre leur exemple et de s’introduire dans la ville.