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Page:Aimard - Les Chasseurs d’abeilles, 1893.djvu/107

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LES CHASSEURS D'ABEILLES

faire face à vingt Peaux-Rouges, mais comment échapperez-vous au Chat-Tigre ?

— Au Chat-Tigre ? Excusez-moi, caballero, mais je ne vous comprends pas du tout.

— Je vais m’expliquer, señor : le Chat-Tigre est un Blanc. Cet homme, on ignore pour quelle raison, s’est retiré parmi les Apaches, est devenu un de leurs chefs, et a voué une haine implacable aux hommes de sa couleur.

— J’avais vaguement entendu parler de ce que vous me dites, mais, après tout, cet homme est seul de sa race parmi les Indiens ; si redoutable qu’il soit, il n’est pas invulnérable, je suppose, et un homme brave peut le tuer.

— Malheureusement vous vous trompez, caballero, cet homme n’est pas seul de sa race parmi les Indiens ; il a avec lui d’autres bandits de son espèce.

— Oui, s’écria doña Manuela, son fils entre autres, que l’on dit être aussi féroce et aussi pillard que lui.

— Ma mère, ce ne sont que des suppositions ; en résumé, on ne peut rien affirmer sur le compte du Cœur-de-Pierre.

— Quel est cet homme dont vous parlez là ?

— C’est son fils, à ce qu’on affirme, car nul ne pourrait l’assurer.

— Et vous nommez cet homme le Cœur-de-Pierre ?

— Oui, señor ; pour ma part je connais de lui plusieurs traits de générosité qui dénotent, au contraire, un cœur bien placé et une âme ardente susceptible d’accomplir de grandes choses.

Une fugitive rougeur couvrit le visage de don Fernando.

— Revenons au Chat-Tigre, dit-il ; qu’ai-je à redouter de cet homme ?

— Tout ; embusqué dans la prairie comme un hideux zopilote sur la pointe d’un rocher, ce pirate fond sur les plus nombreuses caravanes, qu’il pille, et assassine froidement les voyageurs solitaires que leur mauvais destin amène à sa portée ; ses rèts sont tendus avec une si cruelle habileté que nul ne peut lui échapper. Croyez-moi, caballero, renoncez à ce voyage, sinon vous êtes perdu.

— Je vous remercie de ces conseils, qui vous sont inspirés par l’intérêt que je vous inspire ; cependant je ne puis les suivre. Mais je m’aperçois qu’il se fait tard ; permettez-moi de me retirer. J’ai remarqué sous le zaguan un hamac dans lequel je passerai fort bien la nuit.

— J’ai donné l’ordre de vous préparer la chambre de mon fils.

— Je ne souffrirai pas que l’on dérange qui que ce soit pour moi, señora ; je suis habitué aux voyages ; du reste, une nuit est bientôt passée ; je vous jure que vous me désobligeriez en insistant pour me faire accepter la chambre de don Es te van.

— Agissez donc à votre guise, caballero ; un hôte est l’envoyé de Dieu, il doit être le maître dans la maison où il se trouve pendant tout le temps qu’il l’honore de sa présence ; que le Seigneur veille sur votre repos et vous donne un bon sommeil ! Mon fils vous indiquera le cor rai où votre cheval a été placé, si par hasard vous désiriez vous éloigner avant qu’on fût éveillé dans la maison.