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Page:Aimard - Les Chasseurs d’abeilles, 1893.djvu/216

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LES CHASSEURS D’ABEILLES

Don Pedro et sa fille étaient assis auprès du brasero.

Doña Hermosa portait un costume d’une grande simplicité qui la rendait encore plus charmante ; elle fumait un mince cigarillo de maïs tout en causant cœur à cœur avec son père.

— Oui ! disait-elle, il est arrivé au presidio les plus jolis oiseaux du monde.

— Eh bien ! querida chica ? (Chère petite).

— Il me semble que mon cher petit père n’est guère galant ce soir, fit-elle avec une moue d’enfant gâtée.

— Qu’en savez-vous, señorita ? répondit don Pedro en souriant.

— Comment ! vrai ! s’écria-t-elle en bondissant de joie sur son fauteuil et en frappant ses mains l’une contre l’autre, vous auriez pensé…

— À vous acheter des oiseaux. Vous verrez demain votre volière peuplée de perruches, d’aras, de bengalis, de cardinaux, de colibris, que sais-je encore ? enfin, plus de quatre cents, vilaine ingrate !

— Oh ! que vous êtes bon, mon père, et que je vous aime ! reprit la jeune fille en jetant ses bras autour du cou de don Pedro et en l’embrassant à plusieurs reprises.

— Assez ! assez ! follette ! vas-tu m’étouffer avec tes caresses ?

— Que faire pour reconnaître tant de prévenances ?

— Pauvre chère ! fit-il avec une nuance de tristesse, je n’ai plus que toi à aimer maintenant.

— Dites donc à adorer, mon excellent père ! car c’est de l’adoration que vous avez pour moi : aussi je vous aime de toutes les forces aimantes que Dieu a mises dans mon âme.

— Et pourtant, dit don Pedro d’un doux accent de reproche, tu ne crains pas, méchante, de me causer des inquiétudes !

— Moi ? demanda Hermosa avec un tressaillement intérieur.

— Oui, vous, fit-il en la menaçant tendrement du doigt, tu me caches quelque chose.

— Mon père ! murmura-t-elle d’une voix étouffée.

— Allez ! ma fille, les yeux d’un père savent lire jusqu’au fond d’un cœur de seize ans ; depuis quelques jours il se passe en toi quelque chose d’extraordinaire, ta pensée est fortement occupée.

— C’est vrai, mon père, répondit-elle avec une certaine résolution.

— Et à qui rêves-tu ainsi, petite fille ? reprit don Pedro en cachant son inquiétude sous un sourire.

— À don Torribio Quiroga, mon père.

— Ah ! ah ! fit-il, parce que tu l’aimes, sans doute ? Doña Hermosa se redressa, et, donnant à sa physionomie une expression sérieuse :

— Moi ? non, répondit-elle en posant la main sur son cœur : je m’étais trompée jusqu’à ce jour, mon père, je n’aime pas don Torribio Quiroga. Cependant il occupe ma pensée : pourquoi ? je ne saurais le dire. Depuis son retour d’Europe, il s’est fait en lui un changement dont je ne puis me rendre compte ; il me semble que ce n’est plus le même homme que celui avec lequel j’ai été élevée ; son regard me trouble et me fascine ; sa voix me cause un