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Page:Aimard - Les Chasseurs d’abeilles, 1893.djvu/308

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LES CHASSEURS D’ABEILLES

Le Chat-Tigre descendit de cheval, monta sur l’échafaud, et se plaça devant le premier fauteuil, mais sans s’y asseoir.

Don Torribio, après avoir aidé doña Hermosa à mettre pied à terre, vint se placer devant le second fauteuil.

Les traits du jeune homme, ordinairement pâles, étaient enflammés, ses yeux caves semblaient rougis par les veilles ; il essuyait incessamment la sueur qui perlaient sur son front, il paraissait en proie à une vive agitation intérieure qui parfois se révélait sur son visage malgré les violents efforts qu’il faisait pour la maîtriser.

Doña Hermosa s’était placée derrière son père, à quelques pas à peine de l’échafaud ; elle aussi était sous le coup d’une forte émotion intérieure, elle était pâle, ses lèvres étaient serrées, parfois un tressaillement nerveux agitait tous ses membres et une rougeur fébrile envahissait son visage, qui presque aussitôt redevenait d’une pâleur livide ; elle tenait ses regards obstinément fixés sur don Torribio.

Les sachems apaches se groupèrent au pied de l’échafaud qu’ils entourèrent.

Le canon retentit une troisième fois : alors les sorciers s’écartèrent et laissèrent voir un homme étroitement garrotté qui gisait sur le sol au milieu d’eux.

L’amantzin se tourna vers la foule.

— Vous tous qui m’écoutez, dit-il, vous savez pourquoi nous sommes réunis ici : notre grand-père le Soleil a souri à nos succès ; le Wacondah a combattu pour nous, nous sommes vainqueurs, ainsi que nous le promettait, il y a un mois à peine, un chef illustre. Cet atepelt est à nous ; ce chef élu par nous, pour nous commander et nous défendre, est le Chat-Tigre ; nous allons en son nom et au nôtre offrir au Maître de la vie le sacrifice qui lui est le plus agréable, afin qu’il nous continue sa toute-puissante protection ; sorciers, apportez la victime.

Les amantzins saisirent le malheureux qu’ils gardaient et l’étendirent sur l’autel : c’était un Mexicain fait prisonnier à la prise du vieux présidio ; le pulquero dans la maison duquel se passe une des premières scènes de ce récit, poussé par l’avarice, malgré les représentations qui lui avaient été faites, n’avait pas voulu abandonner sa misérable pulqueria et il était tombé entre les mains des Indiens.

Cependant don Torribio se sentait de plus en plus mal ; ses yeux s’injectaient de sang, ses oreilles bourdonnaient, ses tempes battaient avec force, il fut obligé de s’appuyer sur un des bras de son fauteuil.

— Qu’avez-vous ? lui demanda doña Hermosa.

— Je ne sais, répondit-il, la chaleur, l’émotion peut-être, j’étouffe. Cependant j’espère que cela ne sera rien.

Le pulquero, étendu sur l’autel, était dépouillé de ses vêtements ; on ne lui avait laissé que son pantalon ; le misérable poussait des cris effroyables.

L’amantzin s’approcha de lui en brandissant son couteau.

— Ah ! c’est affreux ! s’écria doña Hermosa en se cachant le visage avec les mains.