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Page:Aimard - Les Chasseurs d’abeilles, 1893.djvu/82

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LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Ta, ta, ta ! auriez-vous peur, vous le plus hardi chasseur de jaguars que je sache ?

— Un jaguar n’est après tout qu’un jaguar, on en a raison avec une balle, mais les deux birbones que don Fernando m’a si sournoisement lâchés aux jambes sont de véritables démons sans foi ni loi, qui couperaient[1] leur père pour une petite mesure de pulque.

— C’est vrai : allons donc au plus pressé. Pour des raisons qu’il est inutile de vous faire connaître, je porte énormément d’intérêt à don Pedro de Luna et surtout à sa charmante fille. Don Fernando Carril, d’après ce que nous avons appris, ourdit contre cette famille quelque infernal complot que je veux déjouer : êtes-vous décidé à me prêter main-forte ? Deux hommes peuvent beaucoup, qui à eux deux n’ont qu’une volonté.

— Ainsi, c’est une association que vous me proposez, don Torribio ?

— Donnez à cela le nom que vous voudrez, mais répondez-moi promptement.

— Alors, franchise pour franchise, don Torribio, reprit le Verado après un instant de réflexion. Ce matin, j’aurais refusé net votre proposition, ce soir je l’accepte, car je n’ai plus rien à ménager. La position est complètement changée pour moi. Me tuer sans bruit, vive Dios ! je me vengerai ! Je suis à vous, don Torribio, comme mon couteau est à son manche ; à vous corps et âme, foi de vaquero !

— À merveille ! Je vois que nous nous entendrons facilement.

— Dites que nous nous entendons déjà, et vous n’avancerez rien de trop.

— Soit, mais il faut bien prendre nos précautions pour réussir ; le gibier que nous voulons chasser n’est pas facile. Connaissez-vous un lepero nommé Tonillo el Zapote ?

— Si je connais Tonillo ! s’écria le vaquero ; je le crois bien ! c’est mon compère ! — De mieux en mieux ; ce Tonillo est un homme résolu auquel on peut se fier sans crainte.

— Pour cela, c’est la vérité pure, et de plus un caballero qui a d’excellents principes.

— En effet ; cherchez-le, puis ce soir, rendez-vous avec lui une heure après le coucher du soleil au Callejon de las Minas.

— Parfaitement, je vois cela d’ici, nous y serons.

— Alors, entre nous trois, nous dresserons notre plan de contre-mine.

— Oui, et soyez tranquille, Tonillo et moi nous trouverons un moyen de vous délivrer de cet homme qui veut me tuer sans bruit.

— Il paraît que cela vous tient au cœur, hein ?

— Dame ! mettez-vous à ma place ; enfin, qui vivra verra, don Fernando n’en est pas où il croit avec moi.

— Ainsi voilà qui est convenu, ce soir au Gallejon avec Tonillo.

— Quand je devrais l’amener de force, nous nous y trouverons tous deux.

  1. Les Mexicains emploient cette expression énergique pour dire assassiner. (G. A.)