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Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris.djvu/223

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habite avec sa famille une hacienda près de los Angeles ; on ajoute qu’il a une fille fort jolie, âgée d’une dizaine d’années, qu’il élève avec le plus grand soin. Quelquefois, le Bisojo disparaît sans que ses compagnons eux-mêmes sachent ce qu’il est devenu ; son absence se prolonge ; on commence à respirer ; on le croit mort ; tout à coup, il reparaît, reprend le commandement de sa troupe, et se livre de nouveau avec une sorte de rage et une barbarie furieuse à son horrible métier d’écumeur du désert : la vie de ce brigand est une véritable légende.

— Comment se fait-il que parmi tous ces chasseurs et tous ces chercheurs d’or, si généralement braves, il ne s’en soit pas trouvé un seul assez résolu pour se mettre à la tête de quelques-uns de ses camarades et essayer de débarrasser le désert de ce misérable ?

— Ah ! voilà ; mais ce diable d’homme a une expression si terrible dans son regard louche, que les plus braves tremblent devant lui ; sa force provient surtout de la terreur superstitieuse qu’il inspire ; quelques-uns soutiennent même que c’est un démon. Nul n’oserait s’attaquer à lui ; quelques-uns l’ont tenté dans les premiers temps, mais aujourd’hui il n’a plus rien à redouter de pareil ; les chasseurs et les mineurs prétendent que le Mayor est à l’épreuve des balles et des coups de poignard, que nul ne peut rien contre lui, jusqu’à l’heure où finira le pacte qu’il a signé avec l’enfer.

Cœur-Sombre haussa les épaules avec mépris.

— C’est lui-même qui a répandu ces bruits absurdes, dit-il.

— Hum ! Qui le sait ? Jean Pivert, le trappeur de la rivière Humbolt, un des meilleurs tireurs des prairies du Nebraska à la Nevada, à qui le Mayor a joué plus d’un mauvais tour, m’a affirmé avoir deux fois tiré sur lui à cent cinquante pas et l’avoir manqué ; que pensez-vous de cela ?

— Eh pardieu ! je pense que, selon son habitude, Jean Pivert était ivre, et qu’il y voyait double, voilà tout.

L’hôtelier hocha la tête d’un air peu convaincu :