Aller au contenu

Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris.djvu/226

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

forte, comme un combat par exemple ou une vive contrariété, ses traits se décomposent, se bouleversent ; des rides se creusent sur son visage ; sa physionomie prend une expression d’indicible fatigue, d’ennui, de dégoût même, et alors il paraît presque cinquante ans. C’est un homme de haute taille, d’apparence très vigoureuse, fort agile et très adroit à tous les exercices du corps ; il monte supérieurement cheval. C’est, comme disent les Mexicains, un véritable hombre de a caballo. Les aventuriers de l’Arizona et de la Sonora le reconnaissent pour leur maître en équitation. Pris séparément, ses traits sont fort beaux, mais ils ne s’harmonisent pas entre eux. L’ensemble n’existe pas ; tout est gâté par le regard ; ses yeux sont d’un bleu faïence, sa pupille se dilate et se contracte comme celle des félins. Il ne louche pas dans la véritable acception du mot, mais son regard se croise d’une façon étrange, ou s’écarte à droite et à gauche d’une manière incompréhensible. Ses yeux ronds et éloignés du nez sont enfoncés dans l’orbite, presque cachés sous l’arcade sourcilière, et la paupière trop lourde, à moins d’un effort, les couvre toujours à demi et les empêche de s’ouvrir complètement. Je ne saurais vous expliquer l’impression que cause ce regard filtrant à travers de longs cils, qui semble, à demi voilé, lancer de fauves effluves ; c’est à la fois le regard fascinateur du serpent cascabel, le regard glauque et froid du vautour. Quand on le subit, si brave que l’on soit, on éprouve un sentiment de répulsion ; on frissonne et on se sent froid au cœur malgré soi ; on baisse la tête pour ne pas le supporter.

— Voilà un hideux coquin ! dit Main-de-Fer en riant.

— Et pourtant, continua le Canadien, il a le front large, le nez droit, la bouche belle, les dents éblouissantes, les cheveux longs et admirablement bouclés, noirs, ainsi que sa barbe qu’il porte entière et tombant sur la poitrine ; je le soupçonne de se les teindre ; sa taille est bien prise, ses gestes et ses allures de la plus suprême élégance, et sa démarche remplie de dignité ; une fois il m’a tendu la main qu’il a blanche et très soignée, j’ai tressailli ; cette