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Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris.djvu/80

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venir ce matin, c’est que je voulais vous demander conseil, vous prier de m’aider à échapper à ce misérable qui n’a qu’un but, me voler ma fortune après avoir dissipé la sienne dans les plus honteuses et les plus odieuses orgies ; voilà pourquoi il veut me tuer, parce qu’il sait que, moi vivante, je ne lui abandonnerai pas ma fortune personnelle.

— Vous êtes donc séparés de biens, madame ?

— Oui, docteur, de la façon la plus rigoureuse ; seule je puis disposer des deux tiers de la fortune que j’ai apportée en mariage, vendre ou acheter comme bon me semble, et seulement avec un pouvoir signé de mon mari, pouvoir qu’il a été contraint de me signer devant notaire, une heure avant son départ, moyennant cent mille francs que je lui ai comptés, à bord même du navire qui devait le conduire en Afrique, au moment même où le bâtiment hissait ses voiles.

— Et votre mari est ruiné, dites-vous, madame ?

— Il ne lui reste que les cent mille francs que je lui ai donnés, c’est-à-dire rien ; car depuis longtemps il doit les avoir dissipés, et c’est pour cela, sans doute, qu’il est revenu cette nuit.

— C’est probable ! Mais ce pouvoir qu’il vous a signé, il doit l’avoir révoqué aussitôt après son arrivée en Afrique, cela lui était facile ?

— Je crois qu’il l’a fait, en effet ; mais peu importe, mes précautions sont prises. Le jour même du départ de mon mari, j’ai fait réaliser ma fortune par mon notaire ; il ne m’a fallu que dix jours pour cela, c’est-à-dire beaucoup moins de temps qu’il n’en faut pour se rendre en Algérie, et avant l’acte par lequel mon mari me signifiait qu’il révoquait le pouvoir qu’il m’avait signé, car je crois que mon notaire m’a dit quelque chose de cela. En effet, depuis longtemps déjà, j’avais toute ma fortune en portefeuille, seulement cela m’a coûté cher ; j’ai perdu près de trois cent mille francs.

— Vous êtes donc bien riche, madame ?

— Mais oui, dit-elle en souriant, et elle ajouta avec tristesse : voilà pourquoi mon mari a juré ma mort.