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Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris II.djvu/162

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que aussitôt réprimé, mais non pas assez rapidement pour ne pas être aperçu par l’inconnu.

— Vous m’avez reconnu, n’est-ce pas ? dit celui-ci avec un sourire triste ; moi aussi, malgré votre déguisement, je vous ai reconnu : vous êtes Navaja.

— Oui ; et vous, vous êtes Sebastian, n’est-ce pas ?

— Je suis Sebastian, en effet.

— Cette rencontre est étrange, murmura l’aventurier ; vous n’êtes donc pas mort ?

— Pas encore ; mais, sans doute, cela ne tardera pas, répondit l’ancien matelot avec un soupir. Si vous êtes à ma recherche, faites de moi ce que vous voudrez, je ne me défendrai pas, je n’en aurais point la force.

— Je ne suis pas chargé de vous arrêter, vous n’avez rien à redouter de moi ; d’ailleurs, tout le monde vous croit mort.

— Le Mayor aussi ?

— Oui ; c’est moi qui lui ai annoncé votre mort.

Un éclair de joie passa dans le regard de l’ancien matelot.

Le pauvre diable n’était plus que le spectre de lui-même : il était horriblement maigre, ses yeux étaient caves, ses traits tirés, son visage d’une pâleur d’ivoire ; son bras gauche était enveloppé de linges ensanglantés ; il semblait ne se soutenir qu’avec peine et n’avoir plus qu’un souffle de vie.

— Nous avons la nuit tout entière pour causer, reprit Navaja, soupons d’abord, je vous avoue que j’ai grand appétit. Vous devez avoir soupé depuis longtemps déjà ; mais, si l’on ne peut toujours manger, on peut toujours boire, et j’espère que vous me tiendrez joyeuse compagnie.

— Depuis trois jours, répondit l’ancien matelot d’une voix sourde, je n’ai mangé que quelques fruits sauvages ; je meurs littéralement de faim.

— Cordieu ! pourquoi ne le disiez-vous pas tout de suite ? s’écria l’aventurier, ému malgré lui d’une si grande détresse.