Aller au contenu

Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris III.djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Oh ! je le sais, reprit-elle vivement avec un charmant sourire ; aussi, cher Bernard, ce n’est pas un reproche que je t’adresse.

— Ce serait le premier, dit-il gaiement.

— Mais quand tu n’es pas là, j’éprouve une inquiétude mortelle ; j’ai toujours peur qu’il ne t’arrive quelque chose. Si tu sortais en voiture, encore, ajouta-t-elle avec un soupir étouffé.

— Bah ! je préfère aller à pied ; c’est bien plus intéressant. Et puis, que veux-tu qu’il m’arrive, chère poltronne ?

— Je ne sais pas, mais je tremble.

— Poltronne ! je le répète, dit-il en l’embrassant.

— Moi aussi, papa ! s’écria le gamin, en avançant sa gentille frimousse, toute barbouillée de sauce.

— Eh bien ! oui, toi aussi, monsieur Julian, dit-il gaiement en lui donnant un baiser.

— Dans ce quartier si éloigné du centre et si désert, il ne manque pas de mauvais sujets, et tu as tant d’ennemis

— Que veux-tu, chère enfant, ce n’est pas de ma faute ; je n’ai rien fait pour cela, tu le sais.

— Un de ces ennemis peut s’embusquer, te tendre un guet-apens ; un crime est si vite commis !

— Sois donc tranquille, ma chérie, répondit-il en riant, j’ai l’habitude de la Savane ; je ne marche jamais que la barbe sur l’épaule, comme disent les Espagnols.

— Paris n’est pas la Savane, mon ami.

— Tu te trompes, chère femme, c’est une savane bien autrement dangereuse que toutes celles d’Amérique ; elle pullule de fauves beaucoup plus cruels ; seulement, au lieu d’avoir quatre pattes, ils ont deux pieds, voilà toute la différence.

— Soit, admettons cette singulière comparaison ; ce serait alors une raison de plus, mon ami, pour redoubler de prudence.

— Chère femme, répondit-il en riant, la meilleure prudence consiste à ne rien craindre et à suivre son chemin