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Page:Aimard - Les Trappeurs de l’Arkansas, 1858.djvu/223

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profession ou à tout autre objet qui vous touche personnellement.

— Si je puis vous répondre, caballero, soyez certain que je n’hésiterai pas à vous satisfaire.

— Merci, mon ami, je n’attendais pas moins de vous ; depuis combien de temps habitez-vous les prairies ?

— Depuis dix ans déjà, monsieur, et Dieu veuille que j’y reste encore autant.

— Cette vie vous plaît donc ?

— Plus que je ne saurais dire. Il faut comme moi l’avoir commencée presque enfant, en avoir subi toutes les épreuves, enduré toutes les souffrances, partagé tous les hasards, pour comprendre les charmes enivrants qu’elle procure, les joies célestes qu’elle donne, et les voluptés inconnues dans lesquelles elle nous plonge ! Oh ! caballero, la ville la plus belle et la plus grande de la vieille Europe est bien petite, bien sale et bien mesquine comparée au désert. Votre vie étriquée, réglée et compassée est bien misérable comparée à la nôtre ! C’est ici seulement que l’homme sent l’air pénétrer facilement dans ses poumons, qu’il vit, qu’il pense. La civilisation le ravale presque au niveau de la brute, ne lui laissant d’instinct que celui nécessaire à poursuivre des intérêts sordides. Tandis que dans la prairie, au milieu du désert, face à face avec Dieu, ses idées s’élargissent, son âme s’agrandit et il devient réellement ce que l’être suprême a