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La Halle était sur pied, bouleversée, grondante, menaçante, cherchant enfin à qui s’en prendre de cette alerte fausse ou vraie.

On aurait voulu que cette disparition ne provînt que d’une niche de l’enfant.

L’une disait à la malheureuse mère :

— Ne vous effrayez pas : Margoton joue à cache-cache.

L’autre :

— Je vas vous la ramener, mais faudra la fouetter… pour la première fois, cette petite princesse.

Et Marie-Étiennette, pâle, défaite, la voix brisée, répondait :

— Oui, je la fouetterai… mais rendez-la-moi… rendez-la-moi.

Mais le temps s’écoula.

Les acheteurs s’éloignèrent.

Le carreau des Halles, si animé, redevint presque silencieux ; les marchandes, consternées, n’osaient plus parler que bas autour de cette misérable femme qui ne voulait pas croire à son malheur.

La journée tirait à sa fin.

On ferma le marché.

Marguerite n’était pas revenue ! Elle ne devait plus reparaître !

Plus de trace ! plus d’espoir !

— Mon Dieu ! mon Dieu !… murmurait de temps à autre la pauvre Marie-Étiennette ! On me l’a prise !… Sainte Vierge ! vous me la rendrez ! — Et puis elle appelait sa fille d’une voix à réveiller les morts.

Rien n’y fit.

Marguerite était bien perdue pour elle.

Les voisins et les voisines de Marie-Étiennette firent une déclaration au commissaire de police.

Cela n’amena aucun résultat.

Nul indice ne fut recueilli.

Malgré les recherches les plus consciencieuses, nulle lueur ne se fit sur cette disparition mystérieuse, qui demeura à l’état de problème insoluble.

Ce dernier coup brisa la Pacline.

La femme avait péniblement résisté à la perte de son mari ; la mère ne résista point à la perte de son enfant.

En proie à une fièvre ardente, elle fut transportée à l’hôpital. Là, elle hésita cinq mois entre la vie et la mort.

Enfin sa jeunesse et la force de sa constitution triomphèrent. La malade entra en convalescence ; ce fut long.

Quand elle sortit de l’hôpital, où tous, médecins, infirmiers, religieuses, avaient lutté de soins et de sympathies, ses amies les plus intimes ne la reconnurent pas.

Marie-Étiennette Pacline était entrée à l’hôpital âgée de vingt-quatre ans ; elle en sortait vieillie de vingt ans, avec des cheveux gris.

Les chagrins vont par troupe, dit un proverbe.

Quand la Pacline se trouva sur le pavé de la grande ville, elle était bien et dûment ruinée.