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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/208

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La froideur, l’impassibilité de commande qui avaient servi de masque à son visage disparurent, et une expression de rage y reprit sa place.

Il fit un geste de menace du côté par lequel avait disparu le capitaine, et il murmura entre ses dents :

— Qu’elle prononce un mot… et ce mot sera ta condamnation, Français maudit !

Et il retourna annoncer au comte de Casa-Real que ses ordres venaient d’être exécutés.

Le capitaine pénétra dans un salon, traversa un fumoir et parvint dans une chambre à coucher dont il eut soin de visiter les coins et recoins.

Quelque sûr de sa solitude qu’il fût, Noël, pensant que les murs mêmes de sa chambre à coucher pouvaient avoir des yeux, ne jugea point à propos de prendre connaissance immédiate de la missive de la comtesse.

Il choisit un cigare dans un élégant étui en paille de Goyaquil, l’alluma à un brasero en vermeil placé sur un guéridon, et, s’installant dans un fauteuil à bascule, il fit mine de se livrer à la demi-somnolence que procure et amène la fumée du tabac des Îles.

Arrivé à la moitié de son cigare, il sortit un portefeuille de sa poche et se mit à compulser une assez copieuse correspondance.

Parmi ces lettres se trouvait celle qui lui avait été remise dans la forêt par Juan Romero.

Il la prit, la décacheta et la lut.

Cette lettre était courte et d’une écriture tremblée.

On avait dû la recommencer plus d’une fois.

Pour un indifférent, le contenu n’en avait rien que de simple et d’ordinaire.

Pour le capitaine, il n’en fut pas ainsi.

Aux premières lignes qu’il parcourut, son regard se voila, son visage pâlit un tremblement nerveux fit osciller le papier entre ses doigts crispés par une émotion violente, insurmontable.

Voici ce qu’il venait de lire :


« Monsieur le capitaine,

« En épouse obéissante, j’ai laissé le comte de Casa-Real vous remercier pour les soins dont vous nous avez entourés pendant notre longue traversée de Cadix à Cuba.

« Mais puisque, Dieu aidant, vous avez accepté notre hospitalité, j’ai compris qu’il fallait saisir cette occasion de vous témoigner ma reconnaissance personnelle.

« L’heure est venue.

« Je la saisis.

« Vous n’abandonnerez pas ce pays, vous ne quitterez pas cette habitation sans me donner quelques instants.

« L’état maladif de mon mari l’oblige à se retirer de bonne heure dans ses appartements.

« Chaque soir, à neuf heures, je demeure et suis seule dans mon salon.