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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/264

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— Amen, dit le bandit.

Il s’éloigna de Marcos Praya.

Celui-ci baissa la tête et ferma les yeux.

Il tremblait, pour la première fois de sa vie.

Ne voulant pas assister à cette épouvantable exécution, il se tourna vers le matelot qui tenait la barre du gouvernail.

La figure de ce matelot lui parut singulière.

Il la regarda attentivement.

Elle était d’une pâleur menaçante.

— Je dois être aussi pâle que lui, pensa-t-il. Voici un homme qui, sur un mot de moi, se ferait tuer, j’en suis sûr, plutôt que de laisser commettre ce crime horrible, ce crime utile.

Il hésita.

Mais l’ordre de la comtesse de Casa-Real, tout détourné qu’il fût, était exprès, indiscutable.

Il se voila le visage et attendit.

Depuis quelque temps déjà les matelots chuchotaient entre eux, tout en nageant.

Ils jetaient à la dérobée des regards de menace au pauvre mousse, qui, lui, tout à sa tristesse et à ses scrupules, ne s’apercevait de rien.

Il avait confiance en ces hommes dont il partageait les fatigues, les travaux et les dangers.

La brutalité du maître d’équipage ne lui semblait ni nouvelle ni redoutable.

Il était habitué à ces manières-là.

Son capitaine lui-même, qui le traitait plus doucement que les hommes de son bord, ne se gênait nullement pour lui allonger un soufflet ou un coup de pied, afin d’activer son service.

À force de recevoir des horions, l’enfant s’était endurci au point de ne presque plus les sentir.

On le battait.

Il battrait à son tour.

C’était la loi du plus fort.

Il l’acceptait sans murmure.

À force de penser, de réfléchir, le mousse venait de s’assoupir.

Le maître d’équipage s’aperçut de cette circonstance favorable à son noir dessein.

Il fit un geste.

Le mousse fut saisi à l’improviste par deux robustes matelots.

Avant qu’il jetât un cri, avant même qu’il s’éveillât, il était enlevé de son banc, précipité à la mer, englouti au fond des flots, sans conscience de ce qui lui arrivait.

On le crut noyé.

Pas un de ses bourreaux ne jeta un cri, ne dit un mot.

Mais la fraîcheur de l’eau réveilla l’enfant.