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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/287

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— Il ne faut pas en vouloir à Arthur, voyez-vous, père Pinson ; c’est si jeune… ça ne sait pas ce que ça dit… lança la Pomme au concierge, qui leur barrait le passage involontairement.

— Bah ! répondit celui-ci machinalement. La jeunesse n’a qu’un temps… Vous avez bien raison d’en profiter, mes enfants… Maladroit qui trouverait à redire à vos plaisirs !

— Arthur, demandez pardon à la vieille garde.

Arthur s’approcha et tout en murmurant :

— Je veux bien, moi, dès qu’on n’a pas insulté ma mère…

Il lui tendit les bras.

Le concierge n’eut garde de s’y jeter, mais il sourit, et s’adressant à l’autre étudiant :

— Il en a tout son content, fit-il ; une, deux… par le flanc gauche… montez-le chez lui et couchez-le, monsieur Adolphe, il embrassera son oreiller tout à son aise.

Adolphe offrit son bras à Arthur.

Celui-ci le prit, et, s’en servant comme d’un point d’appui, il se dirigea vers le père Pinson, et lui parlant presque sous le nez :

— Vous n’avez pas insulté ?…

— Assez ! cria la Pomme.

— Embrassez-moi.

— Merci ! fit le vieux sergent.

— Embrassez-moi, ou je fais un malheur.

Pinson l’embrassa, aux éclats de rire de la Pomme et d’Adolphe.

Puis, s’essuyant les lèvres du revers de sa main :

— Tu auras de la chance, toi, si je ne te fais pas donner congé le terme prochain ! murmura-t-il.

— Vous ne ferez pas cela, dit la Pomme en riant toujours.

— Non, je me gênerai.

— Je vous ferai gronder par ma sœur.

— Par Mlle Pâques-Fleuries ?

— Oui.

— Ah ! non, ce n’est pas de jeu, repartit vivement le vieillard.

— Alors, laissez tranquille ce pauvre Arthur.

— Bon. On verra.

— À propos de ma sœur, est-elle descendue acheter son lait ?

— Je n’ai pas encore eu l’honneur de voir Mlle Pâques-Fleuries ce matin.

— Tant mieux ! Je profiterai de ce qu’elle fait la grasse matinée pour grimper jusqu’à ma chambre sans qu’elle s’en aperçoive.

— Pincée, la Pomme ! cria Arthur.

La Pomme se retourna.

Une grande jeune fille, pâle comme un jour d’automne, blonde comme un rayon de soleil, venait d’apparaître dans la cour.

Une simple robe de laine grise, une capeline rouge et un pauvre petit caraco de la même couleur que sa robe formaient toute sa toilette.