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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/293

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Sinon, il détournait le museau, se couchait en rond et s’endormait.

Viandes, sauces, os, friandises et chatteries, rien n’avait de prise sur lui.

Doué d’un instinct merveilleux, Hurrah reconnaissait des personnes qu’il n’avait pas revues depuis longues années, bien que ces personnes lui fussent parfaitement indifférentes.

Le chien d’Ulysse, si célèbre dans les temps anciens, ne reconnaissait que son maître !

Hurrah, lui, distinguait une bonne d’une mauvaise nature.

Aussi voyait-on rarement parler le père Pinson à une personne qui, de prime abord, avait fait rentrer dans sa niche son chien tout grondant, le poil hérissé et l’œil menaçant.

Chacun se demandait la raison de l’entente parfaite qu’il y avait entre le concierge et son chien.

Cette raison était bien simple.

Hurrah ne comprenait pas un mot de français ; élevé dans le fin fond de la Bretagne, il ne comprenait que le gaélique, seule langue que lui parlât son maître.

Étrange ! impossible ! nous dira-t-on.

Nous avons bien vu des chevaux n’obéissant à leurs palefreniers qu’à la condition que ceux-ci leur parlassent allemand.

De toutes façons, Hurrah passait pour un animal extraordinaire.

Un Anglais canophile était allé jusqu’à en offrir trois mille francs.

Somme énorme pour un pauvre diable de concierge !

Le vieux sergent avait simplement tourné le dos à l’insulaire, pour toute réponse.

L’Anglais insista.

L’autre haussa les épaules en silence, et lui montra la porte de sa loge.

Furieux, le fils d’Albion essaya de voler le chien.

Mal lui en prit.

Sans l’arrivée du sergent, qui accourut en toute hâte en entendant les hurlements de rage de son chien et les cris de détresse des ravisseurs, lord Ryde, l’Anglais en question, et deux de ses domestiques étaient étranglés tout net.

De honte et de désespoir, lord Ryde partit pour le mont Saint-Bernard, espérant avoir meilleur marché des bons religieux que du silencieux concierge et de son compagnon.

Depuis lors, il n’avait pas reparu.

Là s’arrêtèrent définitivement les tentatives de détournement et les attentats commis contre l’intelligent animal.

Chacun essaya de s’en faire un ami.

Le chien se laissait faire, mais ne répondait qu’à son maître.

Personne ne chercha plus à le séduire, à l’empoisonner ou à s’en emparer.

On avait reconnu que ces trois choses-là étaient tout bonnement impossibles.

Tous les locataires de la maison se vantaient d’être les bons amis du brave Hurrah.