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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/341

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« Le geôlier, son mari, prit à cœur de terminer ce que sa femme avait si bien commencé.

« Il nous procura de l’ouvrage en ville, et chaque samedi il nous remettait intégralement l’argent que nous avions gagné dans la semaine.

« Pâques-Fleuries serrait précieusement le prix de notre travail.

« À la longue, cela finit par faire une petite somme.

« Cependant, quoi que fissent ces braves gens, malgré tous leurs efforts, le régime de la prison ne nous était pas nécessaire.

« Le travail ne donne pas la santé.

« Et sans la santé, la gaieté s’en va.

« Habituées au grand air, accoutumées à ne nous prêter à nulle espèce de joug, l’ennui nous gagna. La nostalgie de la liberté nous minait.

« Pâques-Fleuries dépérissait à vue d’œil.

« Moi, je perdais mes grosses couleurs.

« La bonne geôlière s’aperçut de notre tristesse et du changement qui s’opérait en nous.

« Elle en devina la cause.

« Sans nous donner un espoir qui aurait pu être déçu, sans nous souffler un mot, elle fit si bien que plusieurs familles pieuses, le curé de la paroisse, le maire de Strasbourg s’intéressèrent à notre sort.

« Il ne fut pas difficile à ces diverses influences d’obtenir l’ordre de notre élargissement.

« Un beau matin, la geôlière vint nous annoncer, le sourire aux lèvres et des pleurs dans les yeux, que nous allions être rendues à la liberté.

« Nous ne voulûmes pas la quitter aussi subitement.

« Nous restâmes deux jours avec elle, exprès pour elle.

« Tous les soins et les bontés qu’elle avait eus pour nous valaient bien ce petit sacrifice.

« Vous ne sauriez croire combien elle et son mari en furent touchés !

« Donc, deux jours plus tard, nous sortions de cette triste maison et nous montions en diligence pour nous rendre à Paris.

« Nous ne partions pas sans viatique.

« On nous avait comblées de cadeaux et de conseils.

« Nous étions chargées d’un petit trousseau ; les lettres de recommandation ne nous manquaient pas.

« Quant à l’argent, nous en avions plus qu’il ne nous en fallait pour le voyage et pour notre installation.

« Nous nous croyions satisfaites.

« Il y avait près de cinq cents francs dans la longue bourse de coton rouge que notre protectrice avait tricotée à notre intention.

« Cette somme provenait de notre travail et d’une collecte que des personnes charitables avaient faite en notre faveur.

« C’était à notre bonne geôlière que nous devions tout cela.

« Qui sait si, parmi ces pièces d’or et d’argent, fruit de ses leçons et de la charité, elle n’avait pas glissé, l’excellente créature, une partie de ses économies de ménage ?