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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/344

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magasin de fleuriste. Dites-moi à quelle adresse vous descendrez, et soyez tranquilles, c’est moi qui, le premier, irai chercher de vos nouvelles.

« Nous entrions dans la vie, nous ne savions rien, nous ne nous méfiions de personne, nous lui donnâmes le renseignement et l’adresse qu’il nous demandait, heureuses d’avoir acquis un protecteur, un ami de plus.

« Le reste du voyage s’effectua sans que nul accident, nulle rencontre vînt en troubler la monotonie.

« Enfin, nous nous trouvions à Paris.

« La femme du geôlier nous avait remis une lettre à l’adresse d’un commerçant du faubourg Saint-Martin, qui travaillait pour l’exportation.

« Il occupait plus de trente ouvrières.

« Il nous mit toutes les deux dans le même atelier, et nous donna trente sous par jour, à chacune.

« Avec ce que nous possédions déjà, c’était plus qu’il ne fallait pour que nous puissions installer notre petit ménage.

« Àcette époque-là, nous ne faisions pas les fières, et au lieu d’avoir chacune un appartement complet, dit Rosette en riant, nous nous contentions de la même mansarde et du même lit.

« Tout alla bien pendant près d’une année.

« Nous avions eu, un mois après notre arrivée à Paris, la visite de notre compagnon de voyage ; nous le reçûmes aussi gracieusement que possible mais comme, tous comptes faits, Pâques-Fleuries ne se souciait pas plus qui moi de cultiver sa connaissance, il en fut pour ses premiers frais d’amabilité et de protection.

« Au magasin, on nous avait appris déjà à nous méfier des vieillards qui s’intéressent subitement aux jeunes filles de quinze et seize ans.

— Est-ce pour moi que vous parlez ? interrompit en riant M. Lenoir.

— Non ; vous n’êtes pas vieux, d’abord, — et puis nous n’avons plus quinze ans, répondit Rosette. Aujourd’hui ce ne serait plus si facile de nous mettre dedans. Cinq années de Paris, mon bon monsieur Lenoir, mûrissent joliment le cerveau. On peut bien avoir peur de nous, mais, ma sœur et moi nous ne craignons personne.

« Tout en n’acceptant pas les propositions honnêtes de M. Charbonneau qui, en dehors de ses politesses du dimanche, toujours refusées, nous offrait des places plus lucratives, peu à peu il nous fut impossible de ne pas reconnaître que ce brave homme ne voulait que notre bien.

« Aussi nous départîmes-nous à la longue de notre sévérité. Un samedi soir, il nous attendit à la sortie du magasin.

« Il tombait de l’eau à torrents.

« Nous étions sans parapluie.

« Une voiture passait. M. Charbonneau nous força d’y monter.

« Un refus eût été ridicule.

« Nous n’avions vraiment pas une seule raison à lui opposer.

« C’était la veille du terme, le 7 avril.

« Une fois dans la voiture :

« — Où faut-il vous conduire ? demanda-t-il.