Aller au contenu

Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/349

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Mais, à tout bien considérer, cela nous importait peu.

« Pourvu qu’elle nous donnât de l’ouvrage, nous n’avions pas à nous gendarmer.

« Elle n’y manqua pas.

« Pendant un certain temps, le travail qu’elle nous donnait à faire et qu’elle rétribuait le plus faiblement possible, nous porta à croire qu’elle n’avait aucune idée sur nous, en dehors des fleurs à monter et des dentelles à raccommoder.

« Pâques-Fleuries brode comme un ange ; elle s’occupait des dentelles ; moi, je montais les fleurs.

« Je ne sais faire que cela.

« Nous gagnions juste de quoi vivre.

« Pâques-Fleuries tomba malade.

« Ce fut le dernier coup.

« En soignant ma sœur, je mis les morceaux doubles, et je fis des fleurs vingt-deux heures sur vingt-quatre.

« Tu as beau dire, fit Rosette en se tournant vers Pâques-Fleuries, le travail ne console pas de tout. J’étais joliment inquiète, tout en montant des fleurs gaies comme les roses, les bluets et les coquelicots.

« Le médecin venait deux fois par jour.

« Cette chère bête-là avait attrapé une affreuse fluxion de poitrine.

« — Il faut la conduire à l’hôpital, me conseilla le médecin.

« — Jamais, lui répondis-je, tant que je serai debout.

« — Oui, mais vous ne serez pas longtemps sur pied, s’il vous faut continuer à la fois et votre métier d’ouvrière et celui de garde-malade.

« Je sentais que le médecin avait raison.

« Un matin que Pâques-Fleuries dormait profondément, je courus chez Mme Machuré.

« Comme nous ne travaillions que pour elle, je ne pouvais guère m’adresser qu’à elle.

« Je la trouvai dans son arrière-boutique, en tête-à-tête avec son ami Charbonneau.

« Je lui racontai tout en lui livrant son ouvrage.

« Celui-ci fit mine de s’intéresser à notre malheur ; il me reprocha de ne pas avoir songé à lui, il mit sa bourse à ma disposition.

« J’allais accepter.

« Mais je réfléchis que ma chère malade ne me l’aurait pas pardonné.

« Je refusai.

« Alors il fit un signe à Mme Machuré.

« Ce signe ne m’échappa point, je l’aperçus dans un petit miroir, mais je pensai que le Charbonneau, ne pouvant me faire accepter directement ses secours, saisissait ce moyen détourné de me venir en aide.

« Franchement, je ne me sentais pas en droit de résister plus longtemps.

« J’écoutai la revendeuse.

« Elle m’offrit quarante francs d’avance.