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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/391

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— Je vous dis que vous me haïssez, répéta-t-elle avec un redoublement de colère qui lui allait à merveille.

— Vous vous trompez, je ne vous hais pas, madame, je vous plains.

— De la pitié ! de la… et venant de vous ! Voilà une pitié qui se changera en mépris quand le moment en sera venu ; en mépris, n’est-ce pas ? voyons, dites, répondez.

— Permettez-moi, comtesse, de vous assurer que vous ne lisez pas au fond de ma pensée.

— C’est heureux.

En disant ces deux mots, Mme de Casa-Real se rassit, plaçant son visage dans l’ombre, de manière que son adversaire ne pût apercevoir la larme qui perlait au bord de sa paupière.

Larme de colère ou larme de douleur !

Un silence se fit.

Chacun d’eux sentait que l’instant du dernier assaut, de l’assaut décisif, allait venir.

Le comte, statue de l’impassibilité, attendait.

Hermosa, dominant la passion furieuse qui lui mettait l’injure et la menace à la bouche, poussa un demi-éclat de rire nerveux, qu’une grande comédienne comme elle pouvait seule faire rentrer dans le ton de cette conversation aigre-douce.

— Allons, mon cher comte, fit-elle en prenant une de ses intonations les plus câlines, vous aurez beau faire, vous vaudrez toujours mieux que moi. Je m’emporte. Je suis ridicule, et je vous ennuie. Ce n’est pas pour cela que je vous ai prié de m’accompagner.

— Comtesse, je vous sais vive et j’excuse toutes vos vivacités. Vous ridicule ! regardez-vous et vous vous démentirez vous-même. Vous… comment dites-vous encore ? ennuyeuse ! Allons, allons, dès le début de ma visite vous me défendiez les compliments ! Que faites-vous en ce moment ? Vous me forcez à vous en accabler.

— Vous êtes charmant !

— Et vous trop indulgente !

— Tu me diras ce que je veux savoir ! Je t’y forcerai bien, pensait la créole en lui lançant ses regards les plus magnétiques, en lui faisant ses mines les plus agréables.

— Siffle, vipère, lui répondait le comte dans sa pensée ; peu m’importe ! Je t’empêcherai bien de mordre !

Et tous les deux ils redoublaient de gracieuseté et de politesse.

D’un côté, un sourire acéré, prêt à l’attaque comme un fer de lance ; de l’autre, une froideur pleine de distinction, prête à la défense, comme un bouclier revêtu d’un triple airain.

— Ainsi, reprit la créole, vous ne croyez ni au bien ni au mal venant de moi ?

— Pardon, je crois à l’un et à l’autre.

— Voilà qui est plus clair !

— Vous m’avez dit : Pas de détours.

— Je puis donc être, utile aux gens que j’aime ?