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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/396

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Elle espéra ce retour !… Oui… Et pourtant les débris de la cravache brisée, menace faite matière, gisaient à ses pieds !

Et pourtant chacune des paroles du comte retentissait encore à son oreille !

Anxieuse, le corps penché en avant, immobile, elle se disait :

— Il reviendra !

Mais cela ne fut pas.

Le maître et le valet venaient bien d’arrêter leurs chevaux ; mais, au lieu de revenir sur ses pas, le premier tira un porte-cigares de sa poche, y prit un cigare, l’alluma, et, piquant des deux, il partit dans la direction de l’Arc-de-Triomphe.

La fumée de ce cigare voltigeait toujours en l’air que la comtesse de Casa-Real se tenait encore, les yeux fixes, regardant le vide et attendant.

Attendant quoi ?

Bien embarrassée eût-elle été de répondre, si quelqu’un l’avait interrogée.

Un monde de pensées tourbillonnait dans son cerveau surexcité par la colère, la haine, le regret de son impuissance, par toutes les mauvaises passions qui font d’une femme, quand cette femme a une nature primesautière, l’être le plus méchant du monde.

Rien ne peut rendre la tempête furieuse qui éclata en elle, une fois le départ du comte bien établi, bien avéré.

Elle fut sur le point d’envoyer un de ses coureurs, avec l’ordre de le rejoindre, dût-il renverser vingt personnes sur son chemin.

L’idée lui vint de monter à cheval elle-même et d’aller en public, au grand soleil, lui rendre bravade pour bravade, raillerie pour raillerie.

Tenant à la main la cravache brisée, elle hésitait.

Quelle joie, pourtant, que de lui jeter ces restes en pleine figure, devant une foule de curieux et de badauds qui, à coup sûr, prendraient parti pour la femme et riraient de l’homme !

Le couvrir de ridicule, lui, ce gentilhomme si fier, si distingué, le faire descendre de son pavois, ce roi de la mode, c’était tentant !

Elle allait appeler, donner des ordres dans ce but… mais une autre idée chassa cette idée-là, et sa tête se pencha machinalement sur sa poitrine.

Elle soupira, comme soupirent les enfants qu’on vient de gronder, ou à qui l’on vient de refuser une pomme ou un pantin. Puis, s’approchant d’un des guéridons qui soutenaient des armes de tous les pays, elle prit une de ces armes, et la tournant, la retournant sous toutes ses faces, elle se mit à rire.

Ce rire, au son argentin, répondait à l’une de ses pensées de vengeance, et néanmoins il était gracieux, séduisant, irrésistible comme les lèvres qui le laissaient échapper.

Des mots entrecoupés suivirent le rire.

Il y avait de tout dans cette adorable créature : de l’enfant, de la femme et de la tigresse.

On sentait bien que ces dents si blanches, ces griffes si roses, devaient mordre, déchirer, ruiner ou assassiner ; mais bien peu eussent résisté à ces griffes et à ces dents.

C’était décidément un rude homme que le comte Noël de Warrens !