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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/412

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LE COMTE DE WARRENS

I

OÙ CHARBONNEAU VEUT FAIRE OUBLIER COQUILLARD

La camériste rentra ; son absence n’avait pas duré cinq minutes ; un singulier personnage marchait dans son ombre.

Cet homme ou plutôt ce bonhomme, bien connu de nos lecteurs, n’était autre chose que l’âme damnée de M. Jules, l’honnête Coquillard, dit Charbonneau, dit… etc., etc.

Vêtu comme tout le monde, cette fois il n’attirait les regards ni par l’excentricité de sa mise trop voyante et de sa barbe trop touffue, ni par des airs de componction ou de trop grande simplicité.

Son enveloppe, essentiellement faubourg Saint-Martin, dissimulait autant que possible l’expression ordinaire de sa mine légèrement matoise, où se lisaient, à l’état de pure nature, l’astuce du Bas-Normand doublée de la sournoiserie du Bas-Breton.

Par-ci par-là, un éclair animait ce visage aux apparences placides.

Mais Charbonneau grondait Coquillard de ce moment d’absence, et Coquillard, éteignant de plus belle le feu de son regard, souriait d’un air plus paterne, devenait deux fois plus honnête et plus bourgillon qu’avant sa faute.

En somme, malgré l’échec subi par lui chez le comte de Warrens, dans l’affaire des Invisibles, qui avaient dignement mérité leur nom en cette circonstance critique, l’agent de police en sous-ordre n’était pas un argousin ordinaire.

Il se présenta devant Mme de Casa-Real sans gaucherie, sans humilité, en homme qui connaît le terrain sur lequel il pose le pied.

Le propre des gens de basse police est de se trouver chez eux partout.

Il salua, et il attendit qu’on lui fît signe de parler ou de s’asseoir.

La créole, qui l’avait parfaitement entendu entrer, ne se donna pas la peine de changer de position.

Sans paraître le voir, elle avait laissé filtrer sous ses longs cils de velours un de ces regards perçants dont seules les femmes possèdent le secret, et qui en une seconde leur permettent de juger un individu et de le déshabiller moralement.

— Voici la personne que vous attendez, maîtresse, dit la camériste.

— Bien, chica, mets-toi là, sur ce coussin, à ta place habituelle.

Anita obéit.