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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/433

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— Pas trop mal manœuvré pour couvrir votre retraite, ricana l’inconnu. À bon entendeur, salut.

— À ce soir, alors ?

— À ce soir.

Charbonneau se retourna pour adresser un dernier geste d’adieu à l’homme au manteau.

Mais il eut beau regarder, chercher de tous les côtés, la rue était redevenue complètement déserte.

Il se trouvait seul, sans que nul indice vînt lui faire soupçonner comment et par où sa nouvelle connaissance, qu’il ne connaissait pas, avait pu passer, disparaître, voire s’envoler.

— Allons, allons ! se dit le malencontreux agent de M. Jules, il y a de la magie, de la sorcellerie là-dessous !… Voilà ce que j’aurais juré par tous les saints du paradis en l’an de grâce treize ou quatorze cent. Aujourd’hui je dois avoir eu affaire à un saltimbanque, ou à quelque Bosco ou Robert-Houdin en vacance.

Puis, après réflexion, il ajouta en posant la main sur son gousset :

— En fin de compte, l’argent me reste. Pourvu que ce ne soit pas de la fausse monnaie ! Bast ! je la passerais à M. Jules.

Cette dernière boutade le mit de bonne humeur.

— Nom d’un tonnerre ! comme dit M. Jules, s’écria-t-il sans reculer devant l’absence totale d’un auditoire choisi, nom de plusieurs tonnerres, même… à part quelques torgnoles et pas mal de rebuffades, l’affaire finira par devenir bonne ! Seulement il s’agit de se bien tenir, et, sur ma foi, l’on se tiendra bien.

Cela achevé, Goquillard-Charbonneau, reprenant son allure de bourgeois de remise, se mit à arpenter, de son pas le plus rapide, le milieu de la chaussée, afin de voir venir tout à son aise les bonnes et les mauvaises rencontres. Conseil que nous donnerons aux coquins qui sortent de bonne heure, et aux honnêtes gens qui rentrent tard.


III

M. BENJAMIN

Tandis que cette scène, à laquelle n’était guère préparé le bonhomme Charbonneau, se passait sur le trottoir qui bordait le mur extérieur du jardin de l’hôtel Casa-Real, Anita la quarteronne se rendait en toute hâte auprès de sa maîtresse.

Elle la trouva dans sa chambre à coucher, procédant à sa toilette.

Or, il nous faut bien l’avouer, c’était une singulière toilette que celle de doña Hermosa.

À coup sûr le costume, principal et accessoires, étalé sur ce divan broché de soie et d’or représentant des fleurs diaphanes ou des oisillons fantastiques, jurait fort avec l’ameublement de ce réduit amoureux.