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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/456

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espoirs, fondés ou non, raisonnables ou absurdes, soutiennent le malheureux et doublent ses forces. Mais la corde n’est pas jetée ! Point de bouée qui flotte ! L’Océan s’étend immense et désert ! Pas une cime dérocher ne dépasse son niveau ! Les forces s’égalisent ! Le temps passe, les minutes deviennent des heures, et le courage s’éteint avec l’espérance ! Louise, je suis cet homme qui n’espère plus, qui n’a plus d’énergie, et qui se laisse couler dans l’abîme !

En face de cette immense douleur, la noble femme ne songea plus qu’à consoler le compagnon de sa jeunesse.

— Parle ! dit-elle. Raconte-moi tout. Il me faut ma part de ton malheur !

Et de sa main elle essuyait les larmes nerveuses qui coulaient de ses yeux rougis par la fièvre et par l’insomnie.

— Te rappelles-tu, lui dit M. Bergeret, qu’il y a deux ans, deux des plus fortes maisons de Hollande, la maison Van Groot et la maison Paës, manquèrent à quelques jours de distance ?

— Oui, et je me rappelle même t’avoir demandé alors si tu n’étais pas atteint par ces deux sinistres. Tu me répondis que, fort heureusement, tu avais cessé, depuis un an, tous rapports d’affaires avec ces deux maisons.

M. Bergeret baissa la tête, poussa un soupir et murmura.

— Je te trompais, chère Louise, pour t’épargner des angoisses. Van Groot et Paës m’emportaient chacun deux cent mille francs !

— Tout notre avoir ? fit Mme Bergeret sans sourciller.

— Tout ! oui tout ! mais j’avais le crédit que donnent à tout homme d’honneur vingt ans de probité commerciale. J’entrepris quelques opérations modestes et sûres en tout autre temps que le nôtre. Dieu était contre moi ! Je perdis au lieu de gagner ! si bien qu’un jour, il y a six mois de cela, je me trouvai à découvert de cinquante mille francs.

— Hélas ! s’écria Louise avec admiration. Et depuis deux ans, chaque jour tu rentrais calme, souriant ! Tu jouais avec la fille ! Tu me disais de douces et tendres paroles, comme en dit un homme heureux !

Son mari l’interrompit.

— N’était-ce pas mon devoir ! Je souffrais, sans doute par ma faute, par mon imprudence ! Dieu, dans sa bonté, avait mis deux anges près de moi. Avais-je le droit de faire souffrir ces deux anges ?

— Pauvre martyr ! fit sa femme contenant à grand’peine les sanglots qui lui gonflaient le cœur.

— Il me fallait donc avoir cinquante mille francs, continua M. Bergeret. Je m’adressai d’abord à des amis de vingt ans ; aucun d’eux ne voulut ou ne put me venir en aide. C’était naturel ! Ne sachant que devenir, j’allai trouver un banquier, qui avait une réputation assez mauvaise et qui passait pour vendre aux commerçants malheureux de l’argent, souvent très risqué et par conséquent très cher.

— Eh bien !

— Celui-là me dit : Vous êtes donc bien malade pour venir à moi, vous, un honnête homme ? N’importe ; je vous crois intelligent, je me risque. Voilà votre argent ; seulement, comme dans cette affaire je cours de fortes chances