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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/459

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— Hein ? quoi ? répondit ce dernier avec le plus grand calme.

M. Bergeret se déchirait la poitrine avec les ongles.

Il s’arrêta, balbutiant :

— Monsieur !… cela importe plus que vous ne pensez, car sans cette femme, sans cette enfant, je vous jure que je ne vous supplierais pas en ce moment !

Kirschmark se leva.

— C’est tout ce que vous me donnez en payement ? Des paroles ! Bonsoir ! Mes mesures sont prises… prenez les vôtres.

Et il allait se retirer.

Le dernier espoir du malheureux commerçant disparaissait avec lui.

Il se fit encore plus petit, encore plus humble :

— Pardon, lui dit-il avant que l’impitoyable banquier eût touché le bouton de la porte, pardon !… Comme je vous l’ai écrit, j’ai une proposition à vous adresser… dans notre intérêt commun… comprenez-vous bien ?

— Parfaitement, répliqua l’autre, qui revint sur ses pas ; je ne suis pas un imbécile… Dans notre intérêt commun, ça veut dire qu’il s’agit de me payer… j’écoute.

— Monsieur Kirschmark, dit rapidement, fiévreusement le mari de Louise, j’ai quarante ans, je suis fort et laborieux. Malgré mes revers, nul ne peut me contester l’intelligence des affaires…

— C’est vrai ! approuva le banquier, quoique, à vrai dire, l’intelligence, dans les affaires, consiste à gagner l’argent des autres, et non à perdre le sien.

— Eh bien ! avec tout cela, si vous consentez à ne pas me poursuivre, il est impossible que je ne trouve pas une place de quatre ou cinq mille francs.

— Une place de caissier ! ricana Kirschmark.

— De caissier… soit.

— Vous l’aurez si je consens à ne pas vous poursuivre… possible… mais je vous poursuivrai.

Le père de Claire eut du sang dans les yeux.

Un moment, Bergeret crut qu’il allait se précipiter sur ce monstre, et l’étouffer entre ses bras.

Mais c’était le nom des siens qu’il jetait en pâture à l’animadversion publique, c’était leur avenir qu’il défaisait pied à pied.

Il se résolut à tenir ferme, jusqu’au dernier pouce de terrain.

Il eut le courage indicible de murmurer :

— Peut-être feriez-vous mieux d’attendre… Sur le fruit de mon travail, je m’engage à ne prélever que le strict nécessaire pour nourrir ma famille, et je vous abandonne le reste.

Kirschmark se tordait.

— Très joli ! Attendez ! répondit-il entremêlant ses paroles d’éclats de rire à mettre la rage au cœur d’un saint, attendez ! vous avez une femme et un enfant ! Le strict nécessaire pour trois personnes, en admettant que les personnes vivent le plus économiquement du monde, comme moi quand j’ai commencé, est de deux mille cent francs, savoir, sept cent francs par tête. Qui de quatre mille paye deux mille cent, ne garde que dix-neuf cents francs.