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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/463

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Il comprit que tout était fini pour lui.

Alors, allant à un bureau qui se trouvait dans l’angle du salon, il en ouvrit le tiroir intérieur et y prit deux pistolets dont il vérifia les amorces.

Ces pistolets, il les posa sur le bureau, à sa droite ; et, ouvrant un buvard, il se mit à écrire :

« Amie, adieu pour toujours.

« L’homme que tu estimes et que tu aimes ne doit pas vivre déshonoré !

« Je me tue, parce que je ne peux plus rien pour toi.

« Depuis dix ans tu m’as rendu heureux !

« Ma consolation, à cette heure suprême, est de penser que tu ne m’as jamais causé un moment d’amertume.

« Sois bénie ! toi et l’enfant que tu m’as donnée !

« Vis pour ta fille, et un jour dis-lui que son père est mort pour lui laisser un nom sans tache ! »

Il signa, murmurant des mots sans suite…

— Sans tache !… oui ! La mort épure tout.

Prenant les armes sur le bureau, il les plaça dans une des poches de sa redingote, qu’il eut soin de boutonner.

— Non ! non… pensait-il, et de temps à autre il énonçait tout haut une partie de ses pensées… Ce misérable usurier mentait en prétendant qu’on ne se tue pas !… Je ne tremblerai pas au dernier moment !… Depuis longtemps déjà, mon esprit s’est familiarisé avec l’idée de la mort.

Il se promenait à grands pas.

— Vienne le signal, maintenant ! je suis prêt.

Ici, un bruit léger se fit entendre à la porte par laquelle Mme Bergeret était sortie.

— Pauvre Louise ! c’est elle… je l’oubliais. Elle attend que je la rappelle.

Il ouvrit.

Louise entra.

La pauvre femme tremblait, se soutenant à peine.

Elle venait de subir un rude assaut.

Placée derrière la porte de communication qui séparait sa chambre du salon, elle avait écouté, anxieuse, agenouillée presque, l’entretien de son mari et de Kirschmark.

Tant que les deux hommes n’avaient fait que débattre leurs intérêts, elle s’était contentée de prier. Mais au moment où M. Bergeret, désespéré par l’insensibilité de son créancier, lui jura de se tuer, elle comprit que tout était perdu.

Rien ne lui coûta.

Malgré la défense qui lui en avait été faite, elle se précipita dans un couloir de dégagement, arriva assez à temps pour arrêter le banquier usurier.

Elle l’entraîna dans une pièce retirée.

Là, ce que l’affection, la tendresse conjugale peuvent inspirer d’ardentes prières et de convaincantes protestations, son amour pour son mari le lui inspira.

Elle se roula aux pieds de cet homme, qui tenait la vie de tous les siens dans un oui ou un non.