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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/471

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VII

LA PISTE DE M. JULES

En dehors de ce qu’il appelait les affaires, M. Jules avait la prétention de vivre comme tout le monde.

Méticuleux, tatillon et méthodique comme un vieil employé de ministère qui voit poindre l’aurore bénie de sa retraite, il servait d’horloge à tous ses pauvres voisins.

Été comme hiver, au premier coup de sept heures, il mettait son passe-partout dans sa serrure ; au dernier, il était assis devant sa table-bureau, et se prélassait dans son large fauteuil recouvert en cuir.

L’après-midi, à quatre heures précises dans la semaine, à deux le dimanche, il se levait, quittait son cabinet, et laissait M. Piquoiseux, son secrétaire, se débrouiller avec les toiles d’araignées et les criailleries de ses clients ou de ses agents, fatigués de se morfondre.

Ensuite, majestueusement, dans la plénitude de ses facultés et de son importance, à pied, par le beau temps ou par la pluie, il regagnait son boulevard.

Le boulevard du Temple, avec son groupe de théâtres, avec ses arbres, ses bancs, ses marchands de pommes d’oranges et de sucre d’orge, était le boulevard de l’honnête M. Jules.

Son appartement était situé au deuxième étage, dans une maison d’assez belle apparence, à deux pas du Petit-Lazary.

Rentré chez lui, il parcourait quelques lettres que son concierge lui remettait, il faisait un bout de toilette et descendait prendre sa récréation au café Turc.

Cette récréation durait de quatre heures et demie à six heures.

C’était une belle et bonne partie de dominos avec trois vieux rentiers, toujours les mêmes, qui ignoraient à quel formidable partenaire ils avaient affaire.

À six heures, il dînait… quand il dînait.

Un de ses agents racontait l’avoir vu rester cinquante-six heures sur pied, sans manger ni dormir, pour ne pas perdre une piste qu’il croyait tenir.

La piste était fausse.

Il rentra chez lui, mangea pour trois jours, dormit quatre heures et recommença le lendemain.

Cette fois-là avec succès.

Après dîner, il rentrait dans sa peau d’agent de police, — expression énergique affectionnée par lui, — et alors Dieu sait quelles œuvres, bonnes ou mauvaises, mais toujours ténébreuses, il accomplissait !

Or, le dimanche gras, à deux heures sonnantes, M. Jules quitta son fauteuil curule, ferma secrétaire, armoires, cartonniers, et, traversant le