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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/516

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Près de lui se tenait la personne qui lui avait ouvert la porte de ce parc silencieux.

Cette personne n’était autre qu’une jeune fille de dix-sept à dix-huit ans au plus.

De prime abord, rien ne frappait en elle.

La simplicité de son costume rejaillissait sur tout son être.

Sa blonde et abondante chevelure, tordue en une double natte qui venait surmonter deux bandeaux collés sur des tempes d’une blancheur éclatante, était une de ces beautés qu’un époux seul a le droit de détailler.

Sa taille flexible, et mince à tenir dans les dix doigts, disparaissait sous un ample caraco nécessité par la rigueur de la saison.

Une cape bleue lui couvrait la tête et une partie du visage. Un jupon, plutôt court, laissait voir ses pieds mignons, enchâssés dans des sabots.

La jeune fille que M. de Warrens avait appelée Edmée était plutôt mise comme une fermière que comme une demoiselle de haut lignage.

Pourtant, à la longue, dans l’élévation du front, dans la franchise et la hauteur du regard, dans la manière de porter ce costume, simple et rappelant celui des femmes ou des filles vendéennes du xvIIIe siècle, un observateur sagace eût vite reconnu une fille de race noble, que les malheurs des temps ou des idées arrêtées avaient décidée à se vêtir de la sorte.

Il y avait bien de l’orgueil, un noble orgueil peut-être dans cette simplicité de mise, poussée jusqu’à l’exagération.

Peut-être aussi y avait-il autre chose que de l’orgueil, peut-être y avait-il un grand dévouement.

Ce que nous pouvons tenir pour certain, c’est que le comte de Warrens ne donna aucun signe d’étonnement à la vue de ce costume.

Il prit les mains que lui tendait la jeune fille, et sans qu’elle fit l’ombre de résistance, sans que ni lui ni elle y vissent le moindre mal, il les couvrit de ses baisers.

C’était là une grande preuve de respect donnée par lui à son guide charmant.

C’était bien un véritable hommage, rendu par un noble vassal, convaincu de ses droits, à une maîtresse et suzeraine daignant descendre jusqu’à lui.

Mais le vassal savait qu’il ne devait pas franchir une certaine limite.

La suzeraine, sûre de sa puissance, ne concevait pas une crainte, pas une inquiétude.

Elle se disait qu’à son premier geste, à son premier mot, tout rentrait dans l’ordre, et, confiante, heureuse de se sentir adorée comme une divinité, elle ne retirait pas ses mains, elle ne se lassait pas de regarder le visage du comte, rayonnant d’amour et de bonheur.

— Vous avez bien tardé, monsieur ! fit-elle enfin avec un accent de reproche qui rappela le comte de Warrens aux tristesses de la réalité.

Le comte de Warrens descendit de son ciel.

Puis, laissant aller les mains de la jeune fille, il lui répondit :

— Monsieur ! pourquoi m’appeler ainsi, Edmée ? Ai-je mérité ce chagrin ?

— Oui.

— Chère Edmée !