Aller au contenu

Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/538

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Attention !

Nos cinq masques, nous l’avons dit, portaient le même costume.

Ils étaient déguisés en débardeurs.

Cinq beaux gaillards !

Cinq athlètes aux gestes brusques, à la démarche assurée.

Contrairement à l’usage où sont les hommes, dans les bals publics de Paris, de ne pas se masquer, ils avaient le visage caché par un large loup de velours noir.

Chacun d’eux brandissait à la main un bambou qui, sous les apparences les plus pacifiques, pouvait, au besoin, devenir un assommoir du plus joli poids.

Détail à retenir :

Ces cinq débardeurs, appartenant sans doute à la même bande joyeuse, portaient cinq-vêtements de couleurs différentes.

Le premier avait un costume entièrement noir ;

Le second, un bleu ;

Le troisième, un orange ;

Le quatrième, un ponceau ;

Et le cinquième, un lilas.

Faute de savoir, quant à présent, leur âge, leur domicile, leurs noms et prénoms, nous nous contenterons de les appeler le noir, le bleu, l’orange, le ponceau ou le lilas, et de les distinguer par la couleur de leur costume.

Leur entrée n’était passée inaperçue d’aucun des clients du père Tournesol.

Un pierrot qui soupait, en face du comptoir, avec un diablotin aux cornes enluminées de vermillon et au visage peint en vert-monstre, avait vivement tourné la tête de leur côté.

— Est-ce lui ? demanda-t-il.

Son compagnon lui répondit entre deux bouchées :

— Lui, je ne sais pas !… mais eux, oui.

— Tu en es sûr ?

— Qui est-ce qui est jamais sûr de quelque chose ?

— Va rôder autour d’eux, et…

— Oh ! ce n’est pas la peine, fit le diablotin avec une de ses plus belles grimaces.

— Comment ! s’écria l’autre avec une impatience nerveuse qui témoignait d’une nature habituée à courber toute résistance.

— Si c’est eux, nous allons rire…

Il se versa un verre de vin plein jusqu’au bord, le but et ajouta :

— Aimez-vous à rire, m’sieur Benja… ?

— Tais-toi ! interrompit le pierrot, qui l’empêcha d’achever.

— Bon ! on se taira. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus dfûcile à exécuter sur la corde de l’existence.

Le pierrot posa le coude droit sur la table, appuya son menton sur son coude et examina la situation.

Évidemment, il s’attendait à une scène intéressante, il ne voulait en perdre aucune péripétie.