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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/588

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Un silence de mort régnait dans l’antre du Lapin courageux, deux heures auparavant si bruyant, si animé, si joyeusement brutal.

— Venez, dit-il.

Ils descendirent, et peu après ils arrivèrent dans la cour de la maison Tournesol.

Cette cour était petite, mal éclairée, et encombrée de futailles vides, de tonneaux découverts, empilés les uns sur les autres et alignés le long du mur.

Le temps avait changé subitement.

Il tombait une petite pluie fine et glaciale.

Pas une étoile ne perçait le voile sombre qui masquait le ciel.

Dans un des angles de la cour, il y avait un puits.

Ce puits, ainsi que cela se rencontre dans la plupart des maisons de Paris, était commun avec la maison voisine.

Cette communauté aurait pu fortement gêner nos aventuriers, mais voyez comme les choses tournent bien quand on sait s’y prendre, la maison voisine se trouvait être justement celle du soi-disant Espagnol millionnaire qui venait de leur offrir une si complaisante hospitalité.

Or, selon toute vraisemblance, les mesures avaient été prises pour que nul indiscret ne s’approchât de la margelle de ce puits, tant que l’expédition dirigée par le comte de Warrens n’aurait pas été menée à bonne fin.

Le terrain est cher dans la capitale du monde civilisé.

D’ordinaire, on l’économise le plus possible de nos jours.

Pourtant ce puits était large, commode, et construit ainsi qu’on avait l’habitude de construire dans le courant du xviiie siècle.

Séparé en deux parties égales par un mur en pierre de Paris, qui descendait jusqu’à 6 mètres de profondeur, il ne rencontrait l’eau qu’à 35 mètres au-dessous du sol.

Ce fut vers l’angle de la cour contenant l’orifice du puits que les cinq hommes et le gamin se dirigèrent dans le plus profond silence.

Quand il les vit tous réunis autour de cet orifice, Passe-Partout, ou plutôt le comte de Warrens, qui semblait agir en pleine certitude de cause, fit un signe à la Cigale.

Le colosse, sans demander de plus amples explications, saisit à deux mains la double chaîne, sauta sur le rebord, et de là se lança dans le vide, avec le calme d’un enfant jouant à saute-mouton ou au cheval-fondu.

Mouchette fit un mouvement d’effroi.

Les quatre Invisibles ne se penchèrent même pas vers l’ouverture béante par laquelle leur gigantesque compagnon venait de disparaître.

Cinq minutes s’écoulèrent.

Mouchette eut le temps de répéter quatre fois, en faveur de son ami la Cigale, la seule moitié de prière qu’il possédât dans son répertoire religieux.

L’enfant avait du bon.

Le temps lui parut moins long.

Passe-Partout, Mortimer, San-Lucar et Martial Renaud écoutaient, l’oreille au vent.