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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/60

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Sa livrée bleu et argent faisait merveilleusement derrière sa voiture ou à la porte de ses immenses vestibules.

Dans ses salons, il n’entrait que des huissiers vêtus de noir, chaîne d’argent au cou, en bas de soie et en escarpins.

Les talons rouges manquaient, voilà tout.

Inutile d’ajouter que, simple dans sa mise, le comte ne portait pas de bijoux voyants et ne se distinguait que par la finesse merveilleuse de sa batiste.

Roi de la mode, le comte de Warrens tenait d’une main si ferme ce sceptre fragile et redoutable, que nul n’osait lutter avec lui et que de nombreux amis et courtisans lui faisaient une cour brillante.

Mais si le comte de Warrens avait des amis dévoués et prêts à le défendre à outrance parmi les gens du monde, il avait aussi d’implacables ennemis, ennemis cachés à la vérité, infimes même, à craindre toutefois, leur œuvre étant une œuvre souterraine, un travail de taupe, patient et continu.

Les envieux et les jaloux procédaient par la médisance et par la calomnie.

Semant de tous côtés des bruits injurieux, compromettants au point de vue politique, ils se retiraient aussitôt que la fusée était partie, de façon qu’on apercevait bien la pluie de feu éclairant l’horizon, mais qu’on ne découvrait jamais la main qui l’avait lancée.

Ces bruits se répandaient avec une rapidité extrême et minaient sourdement l’idole encensée par une foule enthousiaste.

Les choses en étaient venues à ce point que la police, toujours ombrageuse, s’en émut.

On fit des démarches afin de savoir quel feu cachait toute cette fumée.

Mais la position du comte était si nette, sa fortune si réellement solide, son existence tellement étalée au grand jour, que les soupçons tombèrent d’eux-mêmes ; les imposteurs en furent pour leurs frais d’impostures et toutes ces tentatives et démarches hostiles tournèrent à son grand avantage.

« La calomnie, docteur, la calomnie ! Il faut toujours en venir là ! » fait dire Beaumarchais à son Basile. Lui ou un autre a écrit : « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose. »

Ces deux conseils sont malheureusement trop faciles à suivre.

Aussi la police, tout en s’avouant vaincue, ne renonçait-elle pas à la lutte. Elle attendait, recueillant soigneusement les incidents les plus futiles en apparence.

Grossissant peu à peu son dossier et guettant le moment de rentrer en lice, elle se tenait sur la défensive et feignait d’avoir relégué cette affaire au fond de ses casiers.

Pourtant deux faits venaient de se passer qui avaient donné fort à réfléchir dans les hautes régions de la préfecture, et qui de nouveau fixèrent sur le comte son attention et celle du public.

Ces deux faits, nous allons les rapporter ici, afin de faire apprécier la position respective de nos personnages et d’éclairer, autant que possible, la lutte ténébreuse engagée entre eux.

Un procès dans lequel se trouvaient compromises plusieurs célébrités parisiennes tenait alors la curiosité en éveil.