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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/62

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Le scandale, déjà énorme, pouvait rejaillir sur bien des personnes haut placées.

On avait accordé à quelques-uns des accusés la faculté de recevoir des visites, sous la responsabilité d’un gardien vigilant qui assistait à leur entretien, armé du droit d’y mettre fin dès qu’il le jugerait convenable.

Un jour, le comte de Warrens, muni d’un laissez-passer en règle de tous points, se présenta pour voir l’un des accusés les plus compromis, celui dont on redoutait les révélations.

Cet accusé, ainsi que toutes les autres personnes impliquées dans cette affaire, était détenu au Luxembourg.

Le comte causa quelques minutes avec lui, ne traitant que de sujets indifférents, sans nulle importance, puis il se retira, toujours accompagné par le gardien, qui ne l’avait pas perdu de vue une seule seconde.

Deux heures plus tard, remployé de la prison, le guichetier qui vint apporter son repas du soir à l’accusé, le trouva étendu sur son lit, froid, glacé, mort.

Les médecins de l’administration, appelés pour procéder à l’autopsie du cadavre, constatèrent la présence d’un poison foudroyant, inconnu en Europe.

Le mort avait emporté dans la tombe ces révélations redoutées.

Le gardien disparut ; il ne fut jamais retrouvé, malgré les plus actives recherches.

À tort ou à raison, le noble faubourg fit honneur de cette mort à M. de Warrens, qui laissa dire.

La seule chose que la police parvint à découvrir fut que le gardien, tout nouveau dans le service du Luxembourg, avait précédemment fait partie des nombreux serviteurs du comte.

Mais les preuves matérielles manquant, elle jugea prudent de s’abstenir, se promettant de prendre sa revanche à la prochaine occasion.

Cette occasion ne se fit pas attendre.

Le premier lundi du dernier carnaval, tous les bureaux de la Préfecture avaient été mis en émoi par la raison que voici :

Une lettre jetée au rebut, pour cause d’adresse inconnue ou mal mise, par l’employé de la poste chargé de la distribution, fut décachetée au bout d’un certain temps pour être retournée à l’expéditeur : cela, selon l’usage de la direction des postes.

Seulement, il se rencontra une petite difficulté lorsqu’on voulut connaître le contenu de cette missive.

Elle était écrite en caractères singuliers, qu’aucun préposé aux bureaux de l’étranger ne parvint à déchiffrer.

Cette lettre, jaunie, surchargée de cachets et de suscriptions, paraissait venir de très loin et être demeurée très longtemps en route.

Cependant, à force de la tourner, de la retourner et d’en épeler l’adresse, on crut lire le nom du major Karl Schinner, intendant du comte de Warrens.

En désespoir de cause, on allait la lui expédier.

Un employé supérieur de la police qui se trouvait là et dont la curiosité