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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/626

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— Alors, je me tais, dit le général, frappant du pied avec une impatience fébrile.

— Non pas, mais revenez-en à notre point de départ : Parlez plus bas.

— Soi ; finissons-en.

— Je vous écoute.

— Baron, reprit le général, j’ai failli être tué dans le cabaret du Lapin courageux.

— Tué ?

— C’est même un miracle que je me trouve à notre rendez-vous.

— Seriez-vous blessé ?

— Blessé, non, je ne l’ai pas été ; mais assommé, oui !… mais transporté sans connaissance chez moi, où les soins intelligents d’un homme que, depuis quelques jours, je viens de prendre à mon service, m’ont tiré d’affaire et remis sur pied.

— Cet homme ?…

— Vous devez le connaître.

— Quel est-il ?

— On le nomme, ou plutôt on le surnomme généralement M. Jules.

— L’ancien chef de la brigade de sûreté ?

— Oui, baron.

— Un ex-forçat ? Vidocq ?

— Oui, baron, lui-même.

Kirschmark ne dissimula pas l’étonnement que cette nouvelle lui causait.

— Pardon, cher, mais serait-il indiscret de vous demander pour quelle raison vous vous trouvez, vous duc et pair, un des premiers du royaume, en relation avec un personnage taré et dangereux ?

— C’est ici, justement, que notre affaire s’embrouille ou se simplifie, à votre choix.

— Je choisis le dernier cas… Vous avez dit : notre affaire ?

— J’aurais dû dire : nos affaires.

— Ah ! fit le baron avec curiosité.

— Ce M. Jules nous a servi d’intermédiaire.

— Il y a une quinzaine d’années, oui… oui…

— Dans certaine transaction épineuse.

— Il s’en est, ma foi, tiré comme un homme de talent.

— Ah ! vous vous le rappelez ?

— Certes.

— Il s’agissait, je crois, d’un enfant que…

— Passez ! passez !… s’écria le baron avec une agitation extrême. Laissez M. Jules de côté et venons-en au fait important.

— J’y viens… j’y viens…, répondit le général, qui reprenait peu à peu le sang-froid, base de son caractère déterminé.

Ce disant il se renversa sur son fauteuil, croisa ses jambes l’une sur l’autre, tourna à demi la tête du côté de Kirschmark, et reprit le plus paisiblement du monde :

— Seulement, avant d’y arriver, il faut reprendre les choses d’un peu haut.