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Depuis plus d’un mois, de tous côtés, on parlait de cette fête.

Les brigues avaient été vives pour s’y faire inviter.

Vers onze heures, les voitures les plus élégantes commencèrent à amener le menu fretin des élus.

À une heure du matin, les têtes du bal étaient arrivées.

Près de deux mille personnes, dont plus de cinq cents masquées ou costumées, circulaient dans la longue enfilade de salons latéraux qui, partant du quai Malaquais, arrivaient rue Jacob.

Les salons de droite, consacrés aux invités en habit de ville, contenaient des ministres, des ambassadeurs, des littérateurs, des généraux et des artistes.

Les femmes les plus sévères de l’aristocratie française et étrangère n’avaient pu résister à leur désir de contempler ces splendeurs orientales.

Dans les salons de gauche régnait la plus franche gaîté. Là se heurtaient, au milieu d’éclats de rire de bon aloi, de propos légers ne frôlant même pas la licence, de tutoiemenfs autorisés par le manteau vénitien, tout ce que Paris avait d’esprit, de talent, de verve et de gaîté.

Pas un habit noir, pas une cravate blanche ; l’or, l’argent, le velours, la soie, la poudre blanche et la poudre blonde, les fleurs et les diamants miroitaient sous une myriade de bougies.

Le comte de Warrens venait de faire oublier le comte de Warrens.

Il s’était surpassé.

On n’entendait de tous côtés que des exclamations extatiques ou des cris d’admiration.

Féerie ! palais magique ! fête digne des Mille et une Nuits ! étaient les moindres éloges donnés par la foule à la réunion la plus brillante de tout l’hiver.

Le comte, à l’entrée des salons de gauche, recevait toutes les personnes costumées, déguisées ou masquées.

La duchesse accueillait dans les salons de droite les femmes en costume de bal, avec une grâce et une amabilité exquises.

Auprès de la duchesse de Vérone se tenait assise une jeune fille blonde, aux yeux bleus, aux traits fins ; une charmante enfant de dix-sept ans au plus, réalisant en un seul type la Charlotte et la Mignon de Goethe.

Une robe de tarlatane blanche, des myosotis dans les cheveux, c’était tout, et cela suffisait pour en faire une des reines du bal.

Modeste et rougissante sous la pluie de regards admirateurs qui tombaient sur elle dru comme, grêle, elle semblait tout étonnée, tout effarée de se trouver dans un milieu nouveau pour elle.

Souvent la duchesse se penchait vers elle et lui présentait soit un danseur, soit une de ses connaissances.

Mais la jeune fille secouait sa blonde tête, et lui répondait dans ce muet langage :

— Ne craignez rien, madame. Ma résolution est immuable. Rien ne me fera chanceler. J’irai jusqu’au bout,

Derrière sa chaise et suivant tous les sentiments qui venaient tour à tour