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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/70

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aimable n’excluait pas un certain air de tête que tous les artistes de grand talent possèdent.

Cette assurance méritée dénote l’habitude des bravos et des applaudissements.

Cette femme était Mme Cinti-Damoreau, l’illustre cantatrice.

Peu de temps auparavant, elle avait eu le courage, rare parmi les chanteurs aimés du public, de quitter la scène, à l’apogée de sa réputation.

La duchesse de Vérone fit pour Mme Cinti-Damoreau ce qu’elle n’avait encore fait pour aucun de ses invités.

Elle s’avança vers elle, la prit par la main et l’obligea gracieusement à s’asseoir à son côté.

Le concert allait commencer.

La grande dame et la grande artiste causèrent à voix basse pendant quelques instants.

Au bout de ce court entretien, Mme Cinti-Damoreau fit un geste d’assentiment, tout en lançant à la dérobée un regard curieux et presque affectueux à la jeune fille, qui rougissait, sentant qu’il était question d’elle entre les deux femmes.

Les invités affluaient dans la salle du concert.

Masquées, costumées, ou seulement en robes de bal, les dames occupaient les chaises et les banquettes d’un immense salon octogone.

Les hommes se tenaient dans les nombreuses embrasures des portes ou dans les bas côtés des murs latéraux faisant suite à l’estrade apprêtée pour les artistes et les exécutants.

Ce salon octogone, une des merveilles de l’hôtel de Warrens, mérite une description particulière.

Huit lustres de Venise y répandaient une lumière tamisée.

Le plafond, peint par Delacroix, représentait le supplice de Marsyas ; chaque dessus de porte, un faune et une dryade, un satyre et une nymphe, cherchant par leurs supplications à arrêter la vengeance d’Apollon, le Dieu du Jour et de la Musique.

Tous les lambris, en mosaïque digne de Pompéi, surmontaient des panneaux signés Corot, Decamps, Jules Dupré et Gudin.

Cette salle de concert, d’un goût sévère, faisait un contraste frappant avec la suite de salons blanc et or, par lesquels il fallait passer pour y parvenir.

Nous l’avons dit, un certain nombre d’artistes, l’élite des peintres, littérateurs et musiciens, avaient été invités par le comte de Warrens.

On n’avait donc point, à s’étonner de voir au premier rang des curieux les directeurs de nos grandes scènes lyriques, l’Opéra, les Italiens et l’Opéra-Comique.

Au moment où le comte, traversant la foule, parut donnant le bras à Mme Cinti-Damoreau, qu’il était allé chercher près de la duchesse de Vérone, et qu’il conduisit jusqu’à l’estrade, où Ponchard, un grand chanteur d’opéra-comique, l’attendait, un silence respectueux se fit ; puis les deux illustres virtuoses commencèrent un duo de l’Ambassadrice.