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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/723

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— Pourquoi ne l’ai-je pas revu depuis cette triste nuit ? Pour quelle raison s’est-il obstinément, malgré le désir que je vous ai exprimé, malgré mes prières, soustrait au témoignage de ma reconnaissance ?

— Le lendemain même, quelques heures après s’être occupé de vous et de votre enfant, il s’est vu contraint de partir pour un long voyage.

— Quand viendra-t-il ?

— Je l’ignore.

— Vous avez de ses nouvelles pourtant ?

— Oui…, puisque je vous apporte ses instructions.

— Aurait-il découvert… ? demanda-t-elle vivement, ne pouvant contenir l’agitation nerveuse qui peu à peu s’emparait de tout son être.

— Rien encore, mon enfant.

— Hélas ! c’est pour mon fils seul que je désire savoir…

— Mais prenez courage, continua Martial Renaud ; la vengeance, ou plutôt la justice divine marche d’un pas lent mais toujours sûr. Un jour, l’homme qui a causé vos malheurs sera puni. Vous serez vengée.

— Vengée ! fit-elle tristement ; cette vengeance me rendra-t-elle ma vie perdue, ma félicité détruite, tous les rêves d’avenir que je faisais, brillants et purs ?

— Elle vous donnera toujours une réparation nécessaire à votre bonheur entaché ; elle donnera peut-être un nom honoré, sinon honorable, à votre fils.

— Et si je n’accepte pas cette humiliante réparation, si je préfère que mon fils se fasse un nom, plutôt que de prendre celui du bourreau de sa mère ?

— Vous serez libre, Lucile…, et à partir de ce jour-là vous marcherez la tête plus haute, le cœur plus léger.

Lucile pleurait.

Les paroles de M. Lenoir calmaient sa douleur, l’endormaient, mais elles ne parvenaient pas à l’effacer, à la chasser complètement.

Elle reprit :

— Excusez-moi, monsieur, je ne suis pas encore maîtresse de mes sensations quand je me reporte au souvenir de l’horrible attentat qui a fait tout mon malheur.

— Votre douleur est si légitime, que je n’ai rien à excuser dans vos paroles.

— Je me sens plus forte maintenant. Parlez, monsieur, je vous écoute.

— Chère enfant, votre protecteur inconnu veille sur vous de loin, comme il y veillerait de près. Voici la mission dont il m’a chargé.

— Parlez.

— Tout d’abord, persuadez-vous-le bien, vous êtes tout à fait libre de refuser ou d’accepter les propositions que je viens vous faire en son nom.

— Je les accepte d’avance.

— Votre situation demeurera la même. On ne désire qu’une seule chose.

— Laquelle ?

— Vous voir heureuse. On ne vous impose rien.

— Cher monsieur Lenoir ! fit-elle en lui saisissant la main et en la serrant avec affection.