Aller au contenu

Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/791

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Superbe…, vieux style…, fit Passe-Partout en souriant.

— Je vous préviens que cet ami inconnu sur lequel vous comptez…

— Ah ! très bien ; quel ami, s’il vous plaît, comtesse ? Je n’ai pas d’amis inconnus, moi… Les quelques amis que je possède, je les connais tous, répliqua froidement le prisonnier.

— L’ami qui doit vous délivrer, vous sauver… enfin ?

— Il y en a donc un ?

— Oui.

— Eh bien ?

— Il n’est plus à craindre pour moi, dit-elle d’une voix nerveuse.

— Oui-da ? fit-il en ricanant.

— Il n’est plus à espérer pour vous.

— Voyez-vous cela ! continua-t-il toujours sur le même ton.

— Voulez-vous savoir son nom ?… ajouta-t-elle, toujours sans s’échauffer.

— Dame ! comtesse, je vous l’avoue, cela me serait très agréable.

— Eh bien ! c’est…

« C’est, fit-elle après un instant, quelqu’un que je vous nommerai si vous refusez le marché que je viens vous proposer.

— Ah ! ah ! voilà donc le but réel de votre visite, comtesse ?

— Elle n’en a pas d’autre.

— Voyez-vous cela ? fit-il avec ironie ; enfin, je suis heureux de connaître la cause de cette charmante entrevue.

— Eh bien ! vous la connaissez, je veux vous proposer un marché.

— Vous piquez vivement ma curiosité ; voyons ce marché, chère comtesse.

Ils échangèrent un regard d’un rayonnement sinistre.

Il y eut un silence terrible cette fois ; jusque-là cet entretien n’avait été qu’une escarmouche, la véritable lutte allait enfin commencer.

Tout ce qui précède était dit avec la plus grande désinvolture par les deux acteurs de cette scène.

Ils ressemblaient, à s’y méprendre, à deux amis en visite, ou bien se retrouvant après une longue séparation.

Cependant, s’ils avaient le sourire et l’affabilité sur les lèvres, dans leur âme ulcérée bouillonnait une rage sourde ; une inquiétude aux griffes d’acier les déchirait à coups répétés.

La comtesse prêchait le faux afin de découvrir le vrai.

Elle avait jugé, et avec raison, qu’on ne faisait pas disparaître un homme comme le comte de Warrens, connu et bien posé dans le monde, sans que de nombreux et puissants amis ne se missent à sa recherche.

En disant au comte qu’elle tenait en son pouvoir un seul de ces amis, elle se croyait certaine de ne pas rester au-dessous de la vérité.

Un instant de faiblesse chez lui, et c’en était fait de son secret.

Cette faiblesse ne vint pas.

Le comte tremblait sur cet ami inconnu, que la créole disait tenir entre ses mains.

Il pensait qu’elle avait eu vent de quelque fausse démarche.