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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/808

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La mêlée s’égalisait.

Elle devint terrible.

La Cigale et Mouchette reprirent bravement l’offensive.

Ce fut un égorgement de belle venue.

Les Invisibles et les séides de la comtesse de Casa-Real se battaient et s’égorgeaient dans une obscurité profonde ; on se tuait, on se frappait, on s’assommait à l’aveuglette ; on tombait et l’on s’écrasait !

Malheureusement, souvent, en croyant combattre un adversaire, : sans le vouloir, on blessait ou on renversait un ami.

— Aux torches ! cria tout à coup le vicomte René de Luz.

Plusieurs torches de résine, apportées par la seconde troupe, furent allumées instantanément, et vinrent jeter leurs reflets rougeâtres sur cette scène de carnage.

Les bandits de la comtesse, manquant de chef, et par conséquent d’ordre de combat, défendaient tout simplement chacun leur peau, comme on dit vulgairement.

Ils avaient, partant, beaucoup plus souffert que leurs ennemis.

La Cigale, une hache pesante à la main, se promenait impassible dans leurs rangs, les abattant comme un faucheur abat l’herbe tendre et haute d’un épais gazon.

Mouchette leur glissait sournoisement entre les jambes et les renversait, sans qu’ils pussent, apercevoir l’ennemi qui était cause de leur chute et de leur défaite.

Les Compagnons de la Lune les enveloppaient de toutes parts.

Il y eut un instant de répit.

On se comptait.

On sentait que cette reprise d’hostilités serait la dernière.

Le temps pressait ; on voulait vaincre vite, ou bien mourir.

À tout prendre, les aventuriers choisis par Marcos Praya l’avaient été en conscience ; c’étaient, tous gens de sac et de corde, connaissant à fond le maniement des armes et surtout les conséquences d’une défaite pour eux.

Ils se disposaient donc bravement à résister en désespérés.

Au moment où la voix du vicomte de Luz, dominant les bruits de la foule, s’écriait : « Compagnons de la Lune ! un dernier effort… Ils sont à nous ! » le cri de : « Passe-Partout ! Passe-Partout ! » se fit entendre de nouveau, et un homme qui semblait tomber du ciel bondit, le poignard en main, le revolver au poing, au plus épais de la mêlée, renversant tout sur son passage.

Cet homme, on l’a deviné déjà, était le comte de Warrens, Passe-Partout, le chef des Invisibles de Paris, enfin !

Les siens l’accueillirent avec des exclamations de joie, et se ruèrent comme des lions sur les bandits atterrés par cette défaite anticipée.

En effet, quand bien même ils parviendraient, ce qu’ils ne pouvaient plus espérer, à chasser leurs ennemis de la ferme, ils le sentaient, leur prisonnier leur échappait, et la comtesse ne tiendrait jamais les promesses dorées qu’elle avait fait luire à leurs yeux.

Les misérables se sentaient à la fois ruinés et vaincus.