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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/81

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Les affiliés regardèrent leur président.

Malgré l’inquiétude qui le dévorait, quelque grande responsabilité qui lui incombât, les paroles prononcées par l’inconnu, avec un léger accent étranger, avaient une telle puissance, que le président se tut une seconde fois.

Si grande était l’influence magnétique exercée par ce personnage inconnu sur tout ce qui l’approchait, que ces hommes, doués d’une énergie à toute épreuve, ne songèrent même pas à une résistance, à une révolte impossible.

— Vos renseignements étaient faux, ajouta-t-il de sa voix calme et reposée. Et voici ce qui vous a induits en erreur. L’Invisible, ou plutôt les Invisibles, ses sosies, — il y en avait trois sachant ce qui devait arriver, — se sont vu arrêter, l’un à Strasbourg, le second à Douvres, le troisième à Irun. La police de nos ennemis est bien faite, mais la nôtre vaut mieux. Nous ne payons pas nos agents avec de l’or, nous autres ; nous les payons avec la satisfaction du devoir accompli, avec le droit de se dévouer de nouveau à une cause sainte. Aussi sommes-nous bien servis. — Écoutez bien ceci : Le traître expédié par le gouvernement espagnol, c’est moi !

— Vous ! s’écria le président.

— Je ne vous ai pas encore interrogé, monsieur, fit hautainement le domino noir.

Mais à sa déclaration si nette, si clairement accentuée, un frémissement de colère parcourut les rangs des conjurés. Ils oublièrent leur faiblesse instantanée, et comme des lions du désert qui rougissent de s’être laissé dompter par la volonté d’un homme, ils firent tous un geste comme pour s’élancer sur l’imprudent qui venait si froidement les braver.

Bien des mains avaient saisi des armes habilement dissimulées dans les plis de leurs larges vêtements.

L’inconnu demeura impassible.

Mais le président, se jetant vivement au-devant de lui comme pour lui faire un bouclier de son corps, cria :

— Arrêtez !

Puis se tournant vers celui qu’il défendait :

— Je vous supplie, monsieur, de me permettre de vous demander qui vous êtes réellement ?

— Vous êtes un brave cœur, et je ne vous laisserai pas plus longtemps dans l’indécision. Je suis celui que vous attendiez. Je suis l’Invisible, et pourtant j’ai dit vrai en vous annonçant que vous voyiez en moi l’espion du gouvernement espagnol. Je vous expliquerai cela plus tard. Pour le moment qu’il vous suffise de savoir ceci : Suivi, depuis Irun, par un membre de notre société, qui me prenait pour le traître en question, il m’a fallu m’adjoindre un de mes affidés subalternes entre Villejuif et la barrière de Fontainebleau. Cet homme m’a escorté et m’a conduit ici, au péril de sa vie. Je ne parle pas des dangers que j’ai courus moi-même ; ils importent peu, puisque me voici. Un seul d’entre vous sait à quel signe on doit me reconnaître aujourd’hui. Quel est-il ?

— Oui, répondit le président, ce signe m’a été communiqué il y a deux