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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/823

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— Pas le moins du monde, mon ami ; oui, je le répète, je compte sur vous, parce que vous êtes bon…

— Dites bête, tout de suite !

— Parce que, continua-t-elle de sa voix la plus douce et la plus câline, vous m’aimez comme une sœur, Martial, et enfin que vous aurez pitié de mon désespoir.

— Edmée !

— Martial ! vous le savez, pour voler au secours de Noël, pour le sauver, j’ai abandonné tout ! sans regret et sans hésitation.

— Je le sais, pauvre enfant !

— À présent je ne puis plus retourner auprès de mes parents autrement que ma main dans la main de Noël.

— Mais…

— Laissez-moi parler, Martial, reprit-elle avec une animation croissante ; vous m’avez demandé d’être franche, je le serai ; aussi bien, mieux vaut-il que nous nous entendions une fois pour toutes et que tout malentendu cesse définitivement entre nous ; d’ailleurs, ma résolution est prise d’une façon irrévocable : j’aime Noël de toute mon âme. Je l’aime jusqu’à mourir avec joie pour lui. Noël a un ennemi terrible, d’autant plus terrible que c’est une femme. Eh bien ! je me suis dit ceci, moi, pauvre jeune fille ignorante du monde, mais devinant bien des choses par le cœur, je me suis dit : cette femme est le mauvais ange de Noël, moi, je serai son bon ange.

— Adorable enfant ! murmura doucement Martial Renaud.

— Martial, j’ai été bercée tout enfant, au récit de nos poétiques légendes bretonnes… Eh bien !… je crois fermement à ces vieilles légendes vénérées : pour moi, elles existent, elles prennent un corps. Je veux donc, quoi qu’il arrive, demeurer constamment auprès de Noël, inconnue s’il le faut, que m’importe cela ? mais toujours à son côté, afin de le défendre au besoin contre. les perfidies de son mauvais ange.

— Et voilà pourquoi vous comptez sur moi, chère Edmée ?

— Oui, Martial, mon ami, mon frère, je ferai de vous mon complice.

— Mais…

— Votre concours m’est indispensable. Le navire que j’ai choisi, vous l’avez deviné déjà, ce navire, c’est le vôtre.

— Hélas ! je m’en doutais… s’écria Martial avec douleur.

— Il faut, mon ami, que vous me réserviez une place à bord.

— Que je…

— Je le veux.

— Non.

— Je vous en prie.

Le colonel hocha tristement la tête d’un air découragé.

— Vous me proposez simplement de m’associer à une folie, Edmée, murmura-t-il avec tristesse.

— Folie, soit, puisque vous le prenez ainsi, mais folie généreuse au moins ! vous en conviendrez, n’est-ce pas, mon bon Martial ! s’écria-t-elle avec entraînement.