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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/873

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IX

PLOMB BRETON CONTRE ACIER MEXICAIN

Enfin, après des péripéties sans nombre et qui seraient trop longues à raconter, ce voyage se termina.

La caravane arriva sur le placer.

L’emplacement était des plus commodes, le site excessivement pittoresque et singulièrement accidenté.

C’était bien réellement le désert, tel qu’aux premiers jours de la création Dieu le laissa tomber de ses mains puissantes.

Nulles empreintes humaines n’apparaissaient encore à vingt lieues à la ronde.

Les fauves régnaient seuls en maîtres sur cette contrée, dont ils devaient être à jamais dépossédés dans un avenir si prochain.

Les aventuriers, oubliant aussitôt leurs fatigues et les dangers auxquels ils avaient été si longtemps exposés, saluèrent d’un long cri de joie la vue grandiose et majestueuse du désert, où désormais pendant de longs mois ils allaient vivre séparés du reste du monde.

Après avoir lui-même choisi avec le plus grand soin le terrain sur lequel il voulait placer son campement définitif, et l’avoir installé dans la position la plus commode et la plus avantageuse, le comte de Warrens distribua le travail à chacun de ses hommes.

Puis, quelques jours plus tard, jugeant que sa présence n’était plus indispensable sur le placer, laissant le commandement à son frère, il se dirigea en toute hâte vers San-Francisco, accompagné seulement de cinq personnes : Edmée, qui, sous aucun prétexte, n’aurait consenti à se séparer de lui, et à laquelle il fit endosser un costume masculin, le comte de San-Lucar, habitué depuis longtemps comme lui à la vie américaine, et enfin la Cigale, Filoche et Jann Mareck, ses trois séides.

Le comte de Warrens avait l’intention de passer d’abord à la colonie de la Nouvelle-Helvétie, afin de s’entendre avec le capitaine Sutter, qu’il connaissait de longue date, sur la façon de pourvoir au ravitaillement de sa troupe : question, on le comprend du reste, de la plus haute importance pour lui.

Sa surprise fut extrême en entrant à San-Francisco.

Il avait laissé au fond de cette baie, lors d’un précédent voyage, un misérable pueblo, ou, pour mieux dire, un presidio à demi ruiné et presque inhabité, et il y retrouvait tout à coup, sans transitions et sans que rien l’eût averti de ce féerique coup de théâtre, une ville de plus de vingt mille âmes, commerçante, animée, grouillante, comme une ruche d’abeilles, et grandissant si rapidement qu’elle menaçait avant six mois, si elle continuait ainsi, de devenir l’entrepôt général de tout le Pacifique.

Mais le capitaine était habitué depuis trop longtemps, par son existence