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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/908

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— Le señor conde a raison, señora, dit froidement l’arriero mayor. Mais grâce à nos mustangs, lorsque les Sioux assailliront le camp, nous n’aurons plus rien à redouter d’eux ; seulement, cette fois, señora, il nous faut absolument sacrifier nos bagages ; car mes pauvres arrieros seraient infailliblement massacrés et scalpés par ces féroces païens.

— Sacrifions ! sacrifions ! señor don Benito, je suis riche, grâce à Dieu ! peu m’importent les bagages ; sauvons les hommes d’abord, quant au reste, ce n’est rien.

— Merci, señora, dit l’arriero mayor avec émotion, vous êtes bonne autant que belle, le Seigneur vous protégera :

— Mais que ferons-nous des mules et des chevaux fatigués ?…

— Ils seront perdus, señora ! mais que pouvons-nous y faire ? D’ailleurs, que cela ne vous inquiète pas, au cas où ils tomberaient entre les mains des Indiens, ce qui, pour les chevaux, n’est pas probable, ils ne seraient pas maltraités.

— C’est quelque chose ! fit ironiquement le comte de Mauderc.

Marcos Praya, après avoir réuni tous les membres de la caravane, leur avait en quelques mots expliqué ce qui se passait et la nécessité de prendre un parti s’ils ne voulaient pas être scalpés et impitoyablement massacrés par les Peaux-Rouges, qui peut-être, avant deux heures, attaqueraient le campement.

Cette nouvelle, si froidement annoncée par le majordome de la comtesse, remplit les aventuriers d’une indicible terreur.

Chacun alors, oubliant sa fatigue et sa faiblesse, s’était mis à l’œuvre avec une activité fébrile, tant est puissant chez l’homme l’instinct de la conservation.

On ne toucha à rien des bagages, qui furent abandonnés ; on jeta seulement du bois dans les feux, afin qu’ils durassent jusqu’au matin et trompassent les Indiens en leur faisant supposer que le camp était toujours occupé.

Puis les chevaux furent harnachés et sur l’ordre du métis chacun se mit gaiement en selle.

La comtesse de Casa-Real, le comte de Mauclerc, Marcos Praya et don Benito, l’arriero mayor lui-même, se chargèrent de tout l’or et des bijoux renfermés dans les wagons ; le reste des bagages et des approvisionnements de toutes sortes fut abandonné sans regret.

Puis, sur un signal du mayordomo, on sortit silencieusement du camp.

Afin de ne pas donner l’éveil aux sentinelles indiennes, probablement embusquées dans les broussailles aux environs du camp, le trajet, assez court du reste, jusqu’au campement de la manada fut fait au pas.

Ce trajet cependant dura une heure à cause de l’extrême fatigue des chevaux.

Aussitôt arrivés, sans perdre un instant, les selles furent enlevées aux chevaux fatigués et placées, toutes fumantes encore, sur les mustangs qui avaient été lacés et rassemblés à l’avance et étaient prêts à partir.

— En avant ! en avant ! cria alors la comtesse de Casa-Real d’une voix