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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/913

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« Elle ne se termina enfin que par des scènes de meurtre et de pillage et par la destruction complète du camp espagnol.

« Ce sauvage attentat souleva toute la population.

« À la voix d’un courageux citoyen, nommé Samuel Brannan, que nous trouverons partout où il y aura une initiative à prendre dans l’intérêt général ou quelque danger à conjurer, on se rassemble, un meeting s’organise ; l’alcade Leaworth demande des constables : tout le monde se présente aussitôt pour prêter serment.

« Alors on se choisit des chefs, on s’arme, et quelques heures après on se porte en masse au lieu de la réunion habituelle des regulators.

« Après une assez faible résistance, on désarme les regulators et on en arrête vingt des plus redoutés.

« Le même jour, la population, toujours réunie, institua un jury et une cour de justice afin de juger les prisonniers.

« Les formes furent rigoureusement observées, et, après un débat assez contradictoire, où toute liberté fut laissée à la défense, huit des prisonniers furent condamnés à la détention dans une prison que désignerait le gouverneur, et les autres à la déportation. »

En lisant les lignes qui précèdent, ne se croirait-on pas revenu aux plus mauvais jours du moyen âge, alors que la loi n’existait pas, ou était impuissante à protéger les individus, et que la force seule était le droit.

Heureusement pour la nouvelle ville à peine fondée, le bon sens pratique des Américains des États-Unis du Nord, leur puissance organisatrice surtout, les sauvèrent d’un irréparable désastre et peut-être d’une ruine complète.

Cette réaction des honnêtes gens contre les brigands, la vigoureuse répression qui en avait été la suite immédiate, rétablirent instantanément le calme.

Tout rentra aussitôt dans l’ordre, et, au moins, pendant quelque temps, San-Francisco redevint l’égale des villes les plus tranquilles et les plus sûres du monde.

Ces événements s’étaient passés pendant l’absence du comte de Warrens.

Par quel miracle Marcos Praya, le chef des brigands, réussit-il à échapper au châtiment qu’il méritait ?

On ne sait.

Toujours est-il qu’il parvint sans doute avec l’aide de ses complices à quitter sans être inquiété la ville, dans laquelle il devait rentrer effrontément quelques jours plus tard, à la suite de la comtesse de Casa-Real.

Les regulators avaient disparu, ou plutôt ils s’étaient transformés.

Expliquons brièvement en quelques mots ce changement incroyable, et qui n’est plus possible que dans un pays neuf, où la loi incomprise ne dispose encore d’aucune force, et où la liberté amène fatalement la licence, et à sa suite tous les excès.

Nous croyons que le lecteur sera curieux de connaître ces détails très exacts sur une contrée bien peu connue encore en Europe, bien qu’elle ait pendant près de dix ans occupé toutes les voix de la Renommée.

Les anciens regulators s’étaient tout simplement faits politicians, mot essentiellement américain, et par cela même intraduisible ; dans cinquante ans