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Page:Ainsworth - Abigail ou la Cour de la Reine Anne (1859).pdf/171

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ABIGAÏL.

bandonna comme à l’ordinaire à ses folles colères et à des menaces. Il en est résulté une brouille, et, quoiqu’il y ait eu une sorte de raccommodement, la froideur subsiste encore entre elles, et, selon moi, la reine ne se réconciliera jamais, méme ostensiblement, avec la duchesse. C’est aussi l’opinion de M. Harley. La duchesse n’est pas de cet avis, car elle n’a rien perdu de son arrogance. Elle se comporte envers Sa Majesté avec une hauteur et une insolence sans pareille, et notre souveraine redoute tout contact avec cette femme impérieuse.

— Pauvre reine ! s’écria Masham.

— Oui, vraiment, pauvre reine ! reprit Abigaïl avec un soupir, elle mérite qu’on la plaigne. Jamais bontés et affection n’ont été plus mal payées, jamais induilgence plus méconnue, jamais bienveillance plus mal placée ; mais, à vrai dire, malgré son extrême bonté, Sa Majesté peut se lasser à la fin. L’altière duchesse s’en apercevra avant peu.

— Pourquoi la reine ne se débarrasse-t-elle pas d’elle une bonne fois ? s’écria Masham ; n’est-elle donc pas maîtresse absolue ici ?

— Oui, elle a tout pouvoir en apparence, mais non de fait, répondit Abigaïl ; il n’y a pas dans tout ce palais de personne moins indépendante que celle qui en est la souveraine maltresse. Son cœur est si affectueux qu’aimer est pour elle une nécessité. Depuis la perte de ses enfants, il est resté dans son cœur un vide qu’elle a essayé de remplir avec l’amitié. Vous voyez combien elle a été déçue ; mais la crainte de rompre définitivement une ancienne liaison affecte la reine au point de la faire hésiter. C’est par tendresse de cœur qu’elle est aussi irrésolue. La duchesse sait cela et elle en abuse. Quand tout paraît désespéré, elle fait adroitement une légère concession, calme l’irrilation de la reine, et tout rentre dans l’ordre accoutumé. Aujourd’hui toutefois, je crois avoir assez de pouvoir sur l’esprit de la reine pour maintenir la brouille actuelle.

— Et bien vous ferez, répliqua Masham ; votre devoir envers la reine l’exige. Voir tant de perfections si mal appréciées est une chose intolérable. Où en est sir Harley avec Sa Majesté ?

— Sa faveur augmente, répliqua Abigaïl ; il est très-souvent admis à des conférences particulières, et conseille fortement des mesures dont il garantit l’utilité.