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Page:Ainsworth - Abigail ou la Cour de la Reine Anne (1859).pdf/266

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ABIGAÏL.

de Shrewsbury ; et cependant ce dernier hésitait à prendre une initiative qui eût pu le compromettre aux yeux de son parti.

Tout en travaillant à s’entourer de puissants appuis, sir Harley s’efforçait en même temps d’ébranler l’influence de ses adversaires. Depuis longtemps il avait réussi, comme on a pu le voir, à rendre la duchesse de Marlborough odieuse à la reine et impopulaire à la cour. À l’heure qu’il était, il lui sembla nécessaire de tourner ses armes contre le duc.

Trois nouvelles campagnes, sans être remarquables par d’éclatantes victoires comme celles de Blenheim et de Ramillies, avaient pourtant été assez brillantes et avaient ajouté un nouveau fleuron à la couronne de gloire de Marlborough. La première avait passé inaperçue ; mais, dans l’été de 1708, le duc remporta l’importante bataille d’Oudenarde, et dans l’automne de l’année suivante, c’est-à-dire le 11 septembre 1709, la mémorable victoire de Malplaquet, disputée avec rant d’acharnement, fut encore gagnée par lui. Lors de cette dernière et terrible rencontre, les Français, qui, de l’aveu de Marlborough et du prince Eugène, firent des prodiges de valeur, perdirent près de quatorze mille hommes, et les armées alliées de leurs ennemis payèrent cher leur triomphe.

Sir Harley, qui parlait de cette bataille comme d’un carnage inutile et barbare, osa même insinuer que le duc avait exposé ses officiers à une perte certaine, afin de réaliser le bénéfice du trafic de leurs commissions. Quelque monstrueuse et absurde que fût cette calomnie, elle n’en trouva pas moins des propagateurs parmi ceux qui pleuraient des parents ou des amis tombés sur ce funeste champ de bataille.

À vrai dire, le vice dominant du duc, l’avarice, joint à l’insatiable rapacité de sa femme, autorisait de semblables assertions, et on finit même par croire généralement qu’il prolongeait la guerre plutôt dans son intérêt personnel que dans celui du pays. Bien des gens, tout en étant pénétrés de l’incontestable mérite du duc et du peu de fondement des accusations du genre de celle que nous venons de rapporter, se laissaient pourtant aller à faire céder toute autre considération devant leur désir de la paix, et, dans l’espoir de l’obtenir, elles joignaient leurs clameurs aux plaintes universelles.

Marlborough, sans mauvaise intention, donna gain de cause à ses ennemis. Convaincu d’avoir perdu sans retour la faveur