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Page:Ainsworth - Abigail ou la Cour de la Reine Anne (1859).pdf/51

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ABIGAÏL.

— Et vous le croyez ? répliqua la duchesse. S’il dit vrai, il a donc changé d’avis depuis une heure.

— Oh ! les changements subits ne sont pas rares, répondit le secrétaire. Votre Grâce ne l’ignore pas.

— Vous avez raison, répliqua-t-elle ; et il est bon de savoir tout d’abord à qui l’on a affaire, ajouta-t-elle en regardant Guiscard : on ne saurait alors être trompé.

— Sans doute, » observa le marquis, en ajoutant mentalement : « Voici qu’elle me soupçonne ! »

Au même instant la reine et les dames de sa cour, ainsi que le prince et sa suite, revinrent dans la chambre verte, et, tandis que la souveraine se replaçait dans son fauteuil, la duchesse s’approcha du comte de Sunderland, et lui dit à voix basse :

« Je viens de surprendre par hasard certaines propositions odieuses que Guiscard faisait à Harley ; je ne sais si celui-ci les a accueillies, mais il est clair qu’on ne peut se fier au marquis.

— Il y a longtemps que j’aurais pu dire cela à Votre Grâce ; toutefois il vous sera aussi utile qu’un autre pour faire réussir vos projets actuels, et il sera plus facile ensuite de s’en débarrasser. Je serais enchanté s’il pouvait entraîner Harley à se liguer avec lui. Nous serions alors sûrs du mariage et du renvoi immédiat d’Abigaïl. Pour tâcher d’en arriver là, permettez-moi de vous supplier de ne laisser ni Harley ni Guiscard s’apercevoir que vous soupçonnez leur intimité : ils vous épient tous deux. »

À ces mots, la duchesse quitta son gendre, fit un signe au marquis qui s’approcha, et causa avec lui d’un ton si nonchalant et si amical, le félicitant de ses succès près d’Abigaïl, qu’elle le dérouta complétement. Quant à Harley, il ne se laissa pas prendre à ce manége. Il avait une trop grande habitude de la dissimulation pour être confiant ; aussi se dit-il à lui-même :

« Je ne suis pas sa dupe. J’ai deviné au regard de la duchesse, lorsqu’elle est entrée dans le salon, qu’elle nous avait entendus, ou tout au moins qu’elle avait des soupçons. Guiscard lui paraît être un traître, et, si elle a changé de tactique, c’est probablement par le conseil de Sunderland ; mais cela ne signifie rien avec moi. Laissons-les croire que je suis d’accord